mercredi 22 avril 2009

Paris et la Tour Eiffel


Dans mon blog manquait un article sur Paris et sur la Seine. Mes amis me demandent : « Quelles ont été tes premières impressions lorsque tu es venue à Paris ? » « Aimes-tu Paris ? Tu n’en parles jamais ! » Sans répondre directement à ces questions, j’ai décidé de vous livrer un petit morceau d’article écrit par Gabriela Zapolska, qui a vécu à Paris entre 1889 et 1895.

Sans la Tour Eiffel, Paris ne serait pas ce qu’il est ! Terminée et rendue accessible au public en 1889, la Tour a permis à des milliers de gens d’atteindre une vue imprenable jusqu’alors sur un Paris vert, sur ses collines, sa Butte Montmartre et ses monuments célèbres : le Dôme des Invalides, le Panthéon, la Cathédrale Notre-Dame. La Tour Eiffel, grande dame aux multiples liftings, attire toujours des foules. Gabriela Zapolska est l’une des premières à décrire la montée dans cet ascenseur étroit qui va vers des hauteurs. C’était en automne de 1889.
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«Trois heures ont sonné lorsque je me suis trouvée au pied de la Tour, côté nord. […] La journée a été magnifique. L’air était transparent […]. La Tour s’y découpait de façon très nette. […] Je lève la tête et j’essaye de voir le sommet, mais je n’y arrive pas. De l’endroit où je me trouve, je ne vois que l’assemblage de poutrelles et j’entends le vacarme de wagons d’ascenseur qui descendent. A l’intérieur de la Tour une cabine glisse verticalement et… disparaît. Des milliers de gens montent des escaliers disposés en colimaçon entre des poutrelles de fer, des milliers de gens prennent l’ascenseur, des milliers se promènent sur les plates-formes des étages. Et la vie de tant de gens dépend de cet homme [Gustave Eiffel], dont je tiens dans mes mains le portrait ! C’est grâce à lui que chaque jour, des milliers de gens s’élèvent à une altitude vertigineuse. C’est grâce à son génie que de nouveaux horizons sont ouverts, qui leur étaient jusqu’à présent fermés ! Un grand homme ! Un grand homme ! […]
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«Une cabine jaune remplie de gens arrive en descendant à la verticale – elle est de la marque Edoux. Au travers des vitres j’aperçois des visages de femmes, pâlis, presque gris. L’expression du visage des hommes est fatiguée, lasse et comme abêtie. Nous pénétrons rapidement dans la cabine et sommes obligés de nous tenir debout dans cette cage étroite car il n’y a plus de bancs pour les dames. […] De nouveaux j’entends un sifflet et je me sens comme arrachée vers le haut. Je regarde à travers la vitre : toujours et encore des poutrelles de fer au dessus de moi. Il y a de plus en plus d’espace et d’air, de plus grands horizons s’ouvrent devant mes yeux. Vers son sommet, la «Tour» devient de plus en plus étroite de sorte que la cage d’ascenseur en remplit tout le cœur. Nous sommes enfin sur la troisième plate-forme ! Je m’approche rapidement vers la balustrade…
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«Qui pourra décrire l’impression que je ressens en ce moment ? Quelle plume serait capable de transcrire sur une feuille de papier inerte cette splendeur qui s’étale sous mes pieds. Paris, ce Paris de Zola – une bête au corps blanc et aux cheveux verts, s’enlace comme un serpent autour les pieds de la «Tour». Ce Paris qui règne sur le monde, qui s’étend sur des espaces sans limites, semble, avec son manteau, toucher le ciel.
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«A deux reprises j’aperçois la Seine, de couleur vert sombre, encadrée de blancs boulevards, coupée par des nombreux ponts. Devant moi, aux pieds de la «Tour», se tient «l’Exposition», avec ses toits gris, noyée dans la verdure des arbres. A gauche, sur une hauteur, on voit une masse noire en pierre sur fond de maisons blanches. C’est le Panthéon ! Un peu plus bas, comme un papillon d’or, luit la coupole des Invalides et – en droite ligne – les tours de Notre Dame. Comme elles semblent petites, ces tours !
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«Je me tourne vers ma droite. Parmi des milliers de toits on distingue une grande place, sur laquelle s’agitent des petits points. Ce sont des casernes de cavalerie et ces points sont – sans doute – des soldats. Au dessus de la place passent des fumées noirâtres. Elles viennent des cheminées des usines de Grenelle et de Javel. Celles-ci se trouvent près de la Seine qui, en ce lieu, est entrecoupée par un remblai vert. C’est l’île aux Cygnes qui, d’un côté, touche le pont de Grenelle et, de l’autre, le pont de Passy.
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«Au-delà du premier pont, on peut voir la ligne sombre du viaduc du «Point du Jour», enveloppé d’une fumée d’usine qui s’étend de plus en plus. C’est le Paris ouvrier, le Paris du travail. […] Une verdure sombre s’étend au-delà de la Seine et rappelle une ceinture en velours. On m’explique que c’est le Bois de Boulogne – célèbre lieu de promenades. Le ruban vert de la Seine sépare le quartier du travail et celui du luxe. Et tout cela est dominé dans le lointain par le Mont Valérien que l’ombre est en train d’envahir et qui se fond avec l’horizon qui s’assombrit lui aussi. Au Trocadéro, le «Pavillon de travaux publics» se noie dans la verdure des arbres. Avec difficulté j’arrive à trouver l’Arc de Triomphe. […] L’arche du pont d’Alma paraît microscopique et c’est à peine si on voit l’Opéra, l’église de la Madeleine, ou la place de la Concorde. La colline de Montmartre se distingue par un trait sombre à l’horizon. Elle semble lointaine et plate. […]
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«Peu à peu la nuit tombe. Le ciel, bleu au dessus de nous, devient gris en se rapprochant de l’horizon. Des nuages sombres s’étirent, en marquant le ciel de traits aigus. Au-delà de la Seine, les fumées se couchent au dessus des toits des maisons, en enveloppant la ville d’un voile de crêpe. Le Mont Valérien a disparu derrière un rideau noir qui semble maintenant constituer un rempart. Le soleil pourpre, couleur de sang, s’enfonce derrière l’horizon en allumant ses derniers rayons les toits des maisons et les dorures des tours. Un rayon part en oblique de l’horizon et se perd parmi les fumées d’usines. De l’énorme forge de Grenelle, on voit des rubans de fer de couleur pourpre. […]
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«Le soleil a disparu derrière la masse noire de collines, en laissant derrière lui une lueur uniforme et sombre. Les arbres, comme des taches noires, se distinguent parmi la blancheur des maisons et la couleur claire des toits. Au Trocadéro, des lumières s’allument maintenant, par-ci et par-là. La ville, à moitié endormie, enveloppée des brumes et de fumées s’éveille à un plaisir nocturne.»
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Devinez maintenant, si j’aime Paris ?
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mardi 14 avril 2009

Coutumes pascales

„Święta, Święta i – po Świętach !”… disent les Polonais. Ce qui veut dire qu’il y a bien sûr un temps pour les Fêtes – mais que celles-ci une fois passées, la vie quotidienne reprend désormais son cours. En Pologne pourtant, la Fête de Pâques qui est appelée Wielkanoc (la Grande Nuit), ne s’efface pas aussi vite de la mémoire des gens, d’autant qu’à cette période, l’éveil du printemps coïncide avec la célébration de la Résurrection du Christ.

Que de préparation, que d’affairement et que de ferveur religieuse. C’est une occasion de se rencontrer en famille et de rencontrer des amis... Sans oublier de faire du ménage chez soi et de préparer des plats traditionnels. Partout, les maitresses de maison lavent des vitres et des rideaux, en faisant rentrer plus de lumière et l’air du printemps. Dans des jardins – les saules font voir sur leurs branches les premiers signes de la saison nouvelle : leurs chatons (que l’on appelle bazie en polonais).

C’est une période d’envoi de vœux à ceux qui vivent éloignés. Grâce aux moyens modernes de l’informatique et de l’Internet, vous pouvez concocter une carte personnalisée à partir d’images que vous avez choisies. La carte qui illustre cet article contient divers sujets qui se rattachent au printemps : ici (avec un peu d’avance) des fleurs de cerisier, des œufs – symbole de la vie, ainsi que l’Agneau Pascal – Jésus sacrifié. On y découvre aussi, sur une petite image, une coutume d’inspiration païenne qui existe toujours pour le lundi de Pâques – Lany Poniedziałek : ce jour-là, on arrose ses proches en leur jetant de l’eau. Un moyen plus raffiné consiste à les asperger d’un peu de parfum à leur réveil !


Au milieu de la carte se trouve une wycinanka représentant deux coqs. Ce découpage dans du papier glacé et coloré est un art populaire qui n’est pratiqué que dans l’est et au centre de la Pologne : dans la région de Kurpie et de Siedlce. Les wycinanki servaient à décorer l’intérieur de maisons très pauvres de cette partie du Royaume de Pologne. Dans ces régions, elles remontent au XIXe siècle : les wycinanki y avaient remplacé certains ornements de la maison, comme les armoires peintes et les tableaux sur le verre ou à l’huile (généralement des sujets religieux ou patriotiques), ainsi que des bas-reliefs en bois, tels qu’on pouvait en trouver ailleurs en Pologne : en Silésie et dans la région montagneuse des Tatras. Les paysans ornaient des poutres de leurs maisons de wycinanki pendant la période de Fêtes de Noël et de Pâques.

Sur la même illustration vous voyez aussi des œufs très colorés. Pour les obtenir, les techniques employées sont variées : on distingue celles des pisanki, des oklejanki, des skrobanki et des kraszanki. Pour obtenir des pisanki on utilise la technique du batik, qui consiste à faire les dessins en rajoutant de la cire sur la surface de l’œuf à l’aide d’une pointe, puis à plonger cet œuf dans un bain coloré obtenu par la décoction d’écorce de chêne, de blé jeune vert ou d’écorces d’oignon – on enlève alors la cire : on perçoit le motif avec la partie non colorée. C’est la plus ancienne des techniques, connue déjà au Xe siècle dans la région d’Opole. Les oklejanki sont des œufs sur lesquels on colle les fils de laine colorés ou de cette moelle blanche qui garnit l’intérieur de la tige du roseau. Les skrobanki sont les plus récents : on gratte la surface de l’œuf déjà coloré pour obtenir des motifs voulus. Les plus populaires sont des kraszanki : plongés dans un bain colorant obtenue par la décoction de plantes. Ce sont des femmes qui préparent les œufs de cette façon pour la Fête de Pâques.

La coutume polonaise avant le repas de midi du Samedi Saint en famille, est d’aller faire bénir à l’église un petit panier rempli d’un œuf, d’un agneau en sucre blanc, d’un saucisson, d’un morceau de pain, d’une pincée de poivre et de sel. Les célébrations religieuses sont nombreuses à cette période. Et les chants qu’on peut entendre pendant la messe sont très beaux. Se retrouver et partager avec ses proches la joie de la Résurrection en cette période du renouveau de la nature – en font une belle occasion de réconciliation et de partage.

samedi 4 avril 2009

Fable moderne

Une heure-et-demie durant, Isabelle de Botton sur la scène du Studio des Champs-Élysées : un spectacle étonnant. Isabelle, je la connais depuis plusieurs années. Elle a commencé par me réconcilier avec les Fables de La Fontaine. L’Opéra de la Bastille n’était pas encore érigé et, sur un terrain vague, dans des bâtiments qui depuis ont été démolis, elle assistait Hélène Hilly dans son cours d’art dramatique. Déjà exercice redoutable pour des Français, les Fables de La Fontaine paraissent un obstacle insurmontable pour les étrangers : d’abord les comprendre, articuler les vers, faire passer la philosophie de l’auteur. C’est bien pour cette raison que l’excellent professeur qu’est Jean-Laurent Cochet demande à chaque nouvel élève de lui dire un petit morceau d’une fable, pour apprécier à quel niveau il se situe.

Je m’en souviens : Isabelle m’a ainsi emmené pas à pas dans le labyrinthe du Loup et le Chien, pour que, peu à peu, l’esprit de La Fontaine m’apprivoise. Tout y est dans ces fables : l’élégance du siècle, la sagesse humaine, les vices de l’espèce humaine, beaucoup d’humour, la profondeur de réflexion sur notre condition. Un autre spectacle, celui de Fabrice Luchini – lui aussi formé par Jean-Laurent Cochet – est bâti sur ces mêmes Fables : une révélation pour le public parisien… Car si chaque spectateur croit les avoir étudiées pendant sa scolarité, c’est souvent seulement là qu’il les découvre.


Mon ami Paul a beaucoup apprécié Isabelle de Botton dans son Moïse, Dalida et moi (mise en scène : Michèle Bernier). Et moi, j’ai trouvé dans ce récit autobiographique des thèmes chers à mon cœur : la vie d’une personne avec une généalogie aux mosaïques étonnantes, pouvant évoquer Londres, la Suisse, Milan, la Grèce, accompagnant sa famille à la synagogue, parlant l’arabe… et qui vit désormais à Paris où elle exerce son métier de comédienne. Elle livre au public sa générosité naturelle, son espièglerie et son don d’observation venus depuis une très jeune enfance. Elle séduit par la maîtrise de son métier, par sa beauté et sa plénitude. Elle séduit par sa liberté.