mardi 17 février 2009

Dorine en Pologne

Pour l'anniversaire de la mort de Molière, une messe est célébrée à l'église Saint Roch. Cela m'a fait remémorer les difficultés que les artistes polonais éprouvent pour rendre crédibles les personnages de Molière. Dans notre imagination, jouer à la française, nécessitait des efforts énormes.

Au Conservatoire, on nous avait donné à travailler le rôle de la soubrette Dorine dans Tartuffe. Comment devenir française en chair et en os ? Cela nous paraissait insurmontable. Nous imaginions Dorine plus mobile sur scène, plus rusée, plus enjouée - à cause du climat chaud. Nous nous contorsionnions, notre débit devenait rapide. Il aurait pourtant suffi d'être soi-même - il nous semblait que non. Nous n'avions aucun modèle à copier. Dans notre interprétation, Dorine était une servante fluette, très coquette - loin de ce que j'ai vu, plus tard en France, incarnée par Françoise Seigner.

A l'époque, nous ne connaissions rien des rapports entre la servante Dorine et Orgon, le père de famille ; ni de celui-ci envers sa fille ; ni celui de sa fille, Marianne, par rapport à son père. Notre imagination ne nous était d'aucun secours. Nous jouions le texte sensuellement. Mais quel texte ? A cette époque, la connaissance des pièces de Molière n'était pas très grande en Pologne. Les adaptations dont nous disposions étaient imparfaites. Le seul qui connaissait bien la culture française et qui rendait merveilleusement le texte de Molière était Boy Żeleński. Il a été fusillé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout récemment, grâce au travail de mise en scène de Jacques Lassalle, ce répertoire est devenu plus abordable pour la scène polonaise.

A l'inverse, Andrzej Seweryn, a montré - dans Dom Juan - que de jouer Molière en français sur la scène de la Comédie Française est possible pour un Polonais, et même très intéressant...

Chacun ne peut-il pas se reconnaître dans les personnages de Molière ? C'est l'expérience que j'ai eue dans une école primaire à Ménilmontant. J'avais confié le rôle de Dorine dans la scène avec Marianne à une jeune élève venant du Maghreb. Arrive le jour de la fête de fin d'année. Je la vois habillée en costume de son pays, une coiffe avec des paillettes sur la tête. Dans sa bouche, la réplique : "Mon père a sur moi tant d'empire..." sonnait si vrai. Elle avait les larmes aux yeux. Pour elle, le texte de Molière révélait, toujours aujourd'hui, sa propre condition.

Illustration : Françoise Seigner - Molière
-

Aucun commentaire: