lundi 20 octobre 2008

Pays d'accueil

Je m'avance sur un chemin frontalier étroit et sablonneux entre Allemagne et La Pologne. De l'autre côté de la frontière, je vois mes parents. Je fais encore quelques pas, et - non ! Mes pieds s'enfoncent dans le sol. Je m'arrête net. Je n'arrive pas à avancer. Quel émigré n'a pas fait un rêve semblable Le déracinement coûte beaucoup. Il est jonché d'angoisses, d'interrogations et d'étonnements. J'étais ahurie, en venant d'une Pologne qui cherchait à oublier la guerre, de rencontrer à Paris ceux, qui, le pavé à la main, cherchaient à bâtir un autre monde. Paris, le paisible Paris est devenu un enfer. Pour me déplacer à la fac, j'ai dû faire de l'auto-stop. Les cours ont été interrompus. J'ai rencontré des groupes de femmes agitées par le planning familial dans mon quartier...
-
Par ailleurs, mon environnement a été envahi par de nouveaux paysages, des odeurs et parfums nouveaux, des visages nouveaux : tantôt curieux, tantôt indifférents et inamicaux... Une boutique avec, à profusion, des bananes, du lait non écrémé en berlingots bleus en forme de pyramide... A force de remuer cette sorte de boite, du beurre s'amasse au sommet - il suffit d'en couper le bout pour le savourer. Qu'est-ce que cette petite boutique de l'Île Saint-Louis sentait bon ! Sur le rebord des fenêtres, je vois des véritables jardins faits de pots de fleurs ; sur des balcons, chaque parcelle d'espace est utilisée pour la verdure ! Chose impossible en Pologne - climat oblige. Ici, à Paris, les maisons sont là depuis des années - un vrai musée d'histoire de France. En Pologne la guerre est passée par là, en balayant les paysages et des bâtiments. Varsovie a été rebâtie après la guerre, d'après les tableaux de Canaletto.
-
Je m'étonne à Paris, du manque de savoir-vivre - pourtant réputé français, que diable ! Ma connaissance de l'étiquette à la française se bornait à la lecture assidue d'un journal polonais, très prisé, Przekrój, qui s'ouvrait vers le monde. La réalité à Paris n'a pas été virtuelle pour moi ! Elle m'a fait découvrir, par exemple, que des Français sont très friands de chair fraiche : cette érotisation de la vie quotidienne, admise ici, m'était insupportable. A l'époque où des employés faisaient encore des petits trous dans les billets, j'ai dû fuir dans le labyrinthe des couloirs du métro, poursuivie par des vrais satyres, des exhibitionnistes... et des voleurs ! En Pologne, on pratique toujours le baisemain, appuyé sur la peau et non tout juste esquissé. Les hommes tendent encore un manteau à une femme et lui apportent des fleurs... En France, non ! Enfin... pas souvent !
-
J'aime beaucoup certains livres - ceux de Nancy Hudson ou d'Anca Visdei qui ont relaté leur expérience d'émigrée. Dans son livre Toujours ensemble, Anca Visdei raconte la réalité dans deux pays : la Roumanie où vit sa soeur et la Suisse où l'héroïne du livre a atterri après avoir fuit le régime de Ceausescu. Je me suis tout à fait retrouvée dans ces livres.
-
Il y a ensuite le long processus d'adoption. Il faut que le pays d'adoption vous adopte. Et vous, que vous adoptiez d'étranges coutumes françaises qui vous sont inconnues. C'est maintenant fait. Cela a pris du temps mais c'est possible et tant mieux. Pour ceux qui sont "restés au pays", c'est autre chose. Ils vivent une autre réalité : pour eux la vie à Paris ou en Suisse, est à l'image, virtuelle, d'un pays de Cocagne.

Aucun commentaire: