jeudi 24 mars 2011

Promenades parisiennes (2-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Formation théâtrale en français
J’ai suivi des cours de diction chez Sylvain et Vernon du Conservatoire, puis chez Talbot, et au Cours Rudy. C’est avec Mary Samary, la sœur de la célèbre Jeanne Samary de la Comédie Française, qu’il me semble que je fais désormais le plus de progrès. Elle veut me présenter à l’Odéon pour un rôle de soubrette qui reste à pourvoir – Dorine ! Je travaille les rôles de Clytemnestre, de Lucrèce Borgia, de Phèdre. Mes professeurs me trouvent un emploi de tragédienne ! Samary et Worms me poussent à jouer – comme cette Agar, qui avait débuté dans des petits théâtres avant d’être, enfin, engagée à la Comédie Française ! On me dit : Va faire ton apprentissage ! Joue !, Joue sur une vraie scène !

Que la langue française est difficile ! Je parle de celle pour la scène ! Au Théâtre Saint-Martin et à Déjazet on joue des petites pièces. Je vais tenir le rôle d’une Dame. Samary m’a aidé à l’apprendre et elle m’a offert des bas noirs en dentelle – ceux de sa sœur, Jeanne. Cela devrait me porter la chance. Dans la pièce il n’y a que quatre personnages : le mari, la bonne, l’amant et moi. Après chaque répétition, je perds courage. C’est un rôle trop grand pour moi ! Je reste seule sur scène et j’ai des monologues longs de 20 vers. Après des nuits d’angoisse à faire des exercices de diction et à répéter le texte, je me suis fait réprimander par le metteur en scène. Cela m’a fait monter les larmes aux yeux, car j’ai prononcé blague au lieu de bague. Comment connaître de telles nuances ! Pendant ces quelques jours, j’ai perdu l’appétit et le sommeil. Et lorsque le débit du texte est rapide, mon accent sort comme le diable d’une boite !

Antoine et le Théâtre Libre
Je me suis rendue chez Séverine, la grande journaliste, au Cri du Peuple, et dans Gil Blas. Elle habite sur les Grands Boulevards. Nous avons sympathisé et c’est elle qui m’a présenté à Antoine – le directeur du Théâtre Libre. Antoine est très sympathique, doux, intelligent et très féru de compliments. Il m’a dit : Mon Dieu ! Je ferai tout mon possible pour vous défaire de votre accent ! Il m’interdit de parler le polonais ! Je travaille tranquillement au Théâtre Libre. Un soir, je joue une bonne et j’ai deux mots à dire, un autre soir, je joue un rôle plus important. C’est comme ça qu’on fait ici et il n’y a pas à répliquer !

Au mois de mars, je vais jouer la princesse Danesco – une Roumaine – dans la pièce Simone de Louis de Gramont. C’est un rôle important et original : celui d’une hystérique morphinomane. Stefka Feindkind, ma compatriote et médecin, va me donner des informations d’ordre médical d’après l’étude clinique des morphinomanes ! Antoine m'a aussi donné un rôle de 300 lignes dans une pièce de Paul Bourget. Je joue une paysanne normande et je parle avec un accent normand, facile à reproduire…

Au Théâtre Libre, j’ai fait la connaissance de comédiens comme George Grand, Henriot, Ancey, Irma PierrotAntoine a licencié Henriot, parce qu’elle flirtait avec Grand. Je ne savais pas qu’il considérait le théâtre si sérieusement et si sévèrement. Il m’a dit : Je veux des femmes sérieuses. J’ai ouvert de grands yeux. C’est peut-être le premier directeur qui, à Paris, se comporte ainsi à cause d’une telle histoire.

Et si avant la première d’une pièce, son propre père avait quelque chose à lui demander, il l’aurait mis dehors. J’ai été témoin de ce que, pendant une des répétitions, ayant vu à l’entracte, Edmond de Goncourt et Richepin sur la scène, il s’est élancé vers eux comme un fou en hurlant : Monsieur de Goncourt, foutez-moi le camps d’ici. Et Goncourt s’est exécuté.

Plus d’une fois, j’ai assisté à des répétitions au Théâtre Libre : cela se passe dans une immense salle éclairée par huit becs de gaz. Contre les murs, il y a des sofas rouges, et une multitude de coussins. A gauche, un tableau noir sur lequel les heures de répétition et les titres des pièces sont marqués à la craie. Sur les sofas et sur des chaises, une dizaine de personnes sont assises, immobiles et silencieuses. Des femmes coiffées à la Rachel et des hommes, un peu pâles, à la barbe rasée, assistent à la répétition.

Dans ce silence presque religieux, la voix d’une femme dit une tirade, longue et passionnée, lorsque, d’un coin de la salle, s’élève une voix au timbre étouffé mais autoritaire : Nom de nom… Taisez-vous ! L’actrice se tait, comme arrêtée par une force invisible. Une silhouette d’homme apparaît dans la clarté : c’est Antoine. Interrompue un moment, la répétition continue. Antoine intervient désormais plus fréquemment. Il jette quelques mots, suggère une intonation de la voix. D’un geste, il rassemble, puis disperse le groupe d’artistes, en observant une logique stricte, en créant des situations simples, en sculptant ce bloc brut que constitue chaque pièce nouvelle destinée à en passer par les rouages de la scène. Les actrices doivent s’habiller de robes simples. Antoine les dépouille des parures inutiles. Elles se présentent devant le public habitué aux toilettes de Worth et de Félix. La simplicité, la simplicité c’est le mot-clé ici.

Un jour, j’en suis sûre, une statue d’Antoine sera érigée sur une des places de Paris.

Répétitions pour Simone
Je répète le rôle de la princesse Danesco dans la pièce Simone. Mon accent ne dérange pas, et au contraire, il sert le personnage. Je n’ai plus de trac et j’attends même la première avec impatience. Antoine m’a fait des compliments devant tout le monde. Il m’a dit : Vous aurez un très grand succès… d’ailleurs vous le méritez. Je lui ai demandé : Dites, bien franchement, trouvez-vous que j’ai du talent ? Il m’a répondu : Beaucoup ! Dans un an vous perdrez votre accent, et vous serez une grande artiste. Je suis très contente. Dans quelques jours, donc, je serais sur scène ! Quel travail ! J’ai parfois répété 300 fois le même mot ! Cela a pris du temps mais cela donne des résultats ! Je ne sais pas comment le public va réagir.

Au premier acte, je vais porter une robe couleur d’héliotrope en velours, un boa en angora, un manchon en velours, un chapeau en forme de bonnet, couvert de sequins et une aigrette en plumes, couleur orange. Au deuxième acte – j’aurai une robe gris-perle, claire, couverte de dentelles blanches de Venise – de Burano – et bordée de rubans blancs en velours, un grand chapeau en dentelles de Venise lui-aussi, agrémenté de fleurs de pavot, couleur gris-perle et de rubans blancs en velours. Pour le troisième acte – la robe sera noire, en soie, avec un corsage en tulle noir, paré des rubans jaunes, et j’aurai un parapluie noir. Ces habits sont très jolis et assez modestes, mais distingués. Rzewuski et Makowski, mon cousin, m’ont avancé de l’argent à cette occasion.

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