mardi 22 février 2011

Article sur Zapolska - Entretien


Le présent article de Seine & Vistule reprend un entretien récemment paru en polonais et en français dans Gazeta paryska, entre la rédactrice de ce magazine, Irena Filus, et moi-même, à propos de Gabriela Zapolska. Cet article a été traduit du polonais en français par Michel Szczesny. Tous les deux ont eu la gentillesse de m’autoriser à publier ces deux versions ici. (Il va de soi que leurs droits respectifs relatifs à cet article ne sont pas affectés par ces autorisations).
Revue culturelle à vocation européenne, Gazeta paryska est éditée par KULTURALNA EUROPA, association qui favorise expositions, concerts, rencontres littéraires et autres manifestations culturelles.
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Niniejszy artykuł w formie wywiadu, który przeprowadziła ze mną na Irena Filus, redaktorka Gazety paryskiej w języku polskim i francuskim o Gabrieli Zapolskiej, zostanie opublikowany w moim blogu Seine & Vistule. Autorem wersji francuskiej jest Michał Szczęsny. Zarówno Irena Filus jak i Michał Szczęsny autoryzowali publikacje tego artykułu w blogu w Seine & Vistule.
Gazeta paryska, jest publikowana przez Stowarzyszenie KULTURALNA EUROPA, która organizuje wystawy, koncerty, spotkania literackie i inne manifestacje kulturalne w Paryżu.
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L E S   F R A N Ç A I S
VONT  M’APPLAUDIR

Tel est le rêve de la comédienne et dramaturge polonaise Gabriela Zapolska, lorsqu'elle arrive à Paris à la fin du XIXème siècle, en septembre 1889, alors que l'Exposition Universelle vient d’être inaugurée et que la Tour Eiffel a été ouverte au public. Elle souhaite emménager à Montmartre, et trouve rapidement un logement dans le quartier, au 4 de l’avenue de Clichy. Elle estime maîtriser à peu près correctement la langue française, comme elle le dit dans cette lettre adressée à Maria Szeliga : Je connais assez bien le français car je peux traduire Théophile Gautier sans dictionnaire. Alors je pourrai me débrouiller, je monterai sur scène, et d'ici un an je parlerai comme une vraie Française. La vie n'est pas facile à l'époque pour les femmes émancipées, mais Zapolska, pleine d'enthousiasme, vient de refermer derrière elle la porte d'un monde qui ne lui apportait que des désillusions.

   
Qu'est-ce qui l'a poussée à prendre une décision aussi désespérée ? Je pose cette question à Elżbieta Koślacz-Virol (dite Lisbeth Virol), dont l'expertise concernant la vie de l'auteur de La Moralité de Mme Dulska fait autorité ; la thèse qu’elle a consacrée à Zapolska fait 350 pages et son élaboration lui a demandé plusieurs années.
   Zapolska est arrivée à Paris à l'âge de 32 ans. Peu avant, à Piotrków Trybunalski, elle avait commis une tentative de suicide lors d'une tournée de sa troupe de théâtre. Elle avait beaucoup de problèmes personnels, elle avait quitté son mari, elle est tombée enceinte de Marian Gawalewicz, directeur d'un théâtre de Varsovie, puis elle est partie à Vienne pour accoucher d'un enfant qui est mort peu après. Sa famille l'a maudite. Elle avait deux passions théâtrales : jouer comme actrice, mais également l'écriture. Elle a commencé à écrire sous l'influence de Gawalewicz, à la Société de Bienfaisance, où Zapolska avait fait ses premiers pas sur scène. Son mari était officier au service du Tsar. Elle n'a obtenu le divorce que huit ans plus tard. Puis elle a erré un peu comme la Mouette de Tchékhov, avec des troupes itinérantes, entre les différentes régions de la Pologne (qui était à l'époque partagée entre trois occupants). Selon les lieux où elle jouait, on lui écrivait des dithyrambes, comme à Poznań, ou on la critiquait pour son jeu, comme dans les territoires sous occupation russe.

Comment a-t-elle donc gagné sa vie une fois arrivée à Paris ?
   Elle a constaté que Paris était une ville chère et où la vie est difficile, elle a donc commencé par fréquenter la communauté polonaise. Mais peu à peu, elle s'en est éloignée en perfectionnant son français, car elle rêvait de monter sur scène et de se faire applaudir par le public français. Dès le début, elle a écrit pour deux revues polonaises : La Revue Hebdomadaire et Le Courrier de Varsovie. Grâce à cette dernière, elle a obtenu une carte de correspondante. Ses chroniques recèlent de nombreux trésors : une visite chez Aristide Bruant (bien qu'elle appréciât ses chansons, sa façon de gagner de l'argent en parlant de la misère ne lui plaisait pas) ; ses impressions sur l'Exposition Universelle ; ou encore l'exécution d'une femme et de son fils, rue de la Roquette. Curieuse de tout, elle a écrit de nombreux articles, ainsi que des lettres (publiées dans les années 1970) dont les destinataires étaient l'homme d'affaires Stefan Laurysiewicz et le rédacteur de la Revue Hebdomadaire, Adam Wiślicki, ainsi que plusieurs autres personnes. Elle avait aussi des amis fortunés, tels que Stanisław Rzewuski, ou le banquier Oksza Orzechowski, qui lui finançaient des cours de théâtre et l'aidaient matériellement. Elle croyait en elle, mais sa vitalité était mal perçue, on disait d'elle qu'elle était prête à tout pour atteindre son but. La vie n'était donc pas facile pour elle. Elle s'est inscrite au Conservatoire de Théâtre en tant qu'étrangère souhaitant apprendre la langue sur scène, afin d'intégrer l'équipe de la Comédie-Française. En 1892, grâce à la journaliste française Séverine et à Rzewuski, elle parvient à se faire engager au théâtre d'André Antoine. Le maître en personne lui prodiguait des cours, espérant qu'elle perdrait rapidement son accent. En attendant, elle interprétait avec brio des rôles de second plan. De nombreuses critiques de l'époque en témoignent.

Combien de temps a duré cette période ?
   Six années, qui ont été intenses et difficiles. En réalité, on ne parlait jamais de son état de santé, tant son envie d'aller toujours de l'avant était forte ; le soufre [qu’elle avait absorbé lors de sa tentative de suicide] a fini par lui dévorer la muqueuse de l'estomac. Elle saignait, elle avait une sorte d'ulcère, parallèlement à des problèmes gynécologiques. À partir de 1893, elle a eu une relation avec le Nabi Paul Sérusier, leur complicité était fantastique. Lui, lui transmettait sa connaissance de la peinture et de la spiritualité. Sous son influence, elle s'est débarrassée de sa peur de la mort. Quant aux œuvres du peintre, elles affichent durant cette période des couleurs plus claires. Sérusier lui a proposé le mariage. En 1895, elle a décidé d'aller en Pologne, pour trouver matière à un récit qu'elle avait l'intention de rédiger. Elle voulait revenir en France par la suite, elle parlait même d'emmener une Française avec elle pour ne pas oublier l'accent. À son arrivée on l'a accueillie avec les honneurs. Malheureusement, a-t-elle écrit trois ans plus tard, elle regrettait sa décision. Il était déjà trop tard pour retourner en France. Vers la fin de son séjour à Paris elle avait écrit qu'elle était devenue un être humain ...qui étais-je auparavant ? Une machine dénuée de raison, animée par la seule volonté des vents et de mes éditeurs. Sérusier a fait une dépression nerveuse après son départ. Toute leur correspondance a été détruite à la demande de sa future femme, une jeune étudiante en arts plastiques.

Ainsi s'est achevée la carrière parisienne de Zapolska. Est-ce que ton propre destin a été similaire ? Car toi aussi tu es comédienne, et Zapolska est devenue l'objet de tes études ?
   Oui et non, car de mon côté je me suis mariée en Pologne, avec un artiste peintre et architecte d'intérieur, qui dans les années 60 avait décidé de partir en France. Contrairement à Zapolska, j'ai joué des rôles de premier plan sur la scène du Théâtre Classique du Palais de Culture, tout comme au Théâtre télévisé. J'étais surmenée par le travail, et j'ai pensé à prendre une année sabbatique, pour faire un tour et revenir. Je ne connaissais pas le français. Il s'est avéré que le directeur du théâtre ne m'a pas prolongé mon contrat, et il a engagé quelqu'un d'autre à ma place. J'ai compris alors que j'avais perdu le but de mon existence. Je n'avais pas de grandes chances de réussir sur la scène française ; certes j'étais jeune, mais je ne ressemblais pas à une star. Pendant tout ce temps je me suis concentrée sur la langue. On voulait m'enfermer dans des rôles stéréotypés avec un accent russe, je ne me laissais pas faire, mais je ne pouvais pas interpréter de pièces classiques. Ce n'est que des années plus tard, en lisant les lettres de Zapolska, que j'ai découvert comment elle avait lutté contre son accent pour jouer sur une scène à l’étranger. J'ai compris que c'était un vrai handicap pour une comédienne, qui la trahit constamment, l'empêchant de transmettre de vraies émotions.


Mais finalement, tu n'es pas retournée en Pologne ?
   J'avais peur de me retrouver à travailler quelque part en province, et de végéter en élevant mon jeune enfant. De plus, je n'aurais pas pu emmener ma fille avec moi tout de suite. Je vivais à la limite de la misère, mais j'ai fini par obtenir ma première carte de travail, j'ai appris à taper à la machine, à traduire, puis j'ai rencontré mon mari actuel. Peu à peu, je suis revenue vers le théâtre. Au Théâtre International de la Cité Universitaire, j'avais commencé à participer à des ateliers de création, où j'ai rencontré de nombreux metteurs en scène ou acteurs intéressants. Puis, je suis allée aux cours de Jean-Laurent Cochet, celui qui avait formé Gérard Depardieu et Isabelle Huppert. Il m'appréciait beaucoup. C'est chez lui que j'ai pu réviser tous mes classiques en français. C'est comme ça que j'ai affuté ma langue. En fait, ce n'est qu'après ma thèse que j'ai commencé à présenter sur scène l'œuvre de Zapolska.

Justement, tu as décidé de couronner ta passion pour Zapolska par un doctorat à la Sorbonne ?
   J'ai fait ma thèse sous la direction de Martine de Rougemont, pendant trois ans, mais la préparation à ce doctorat m'a pris une décennie. Mon diplôme polonais de maîtrise a été reconnu dès les années 60, mais ma connaissance du français était toujours imparfaite. Mon premier diplôme (un DEA) traitait de Zapolska à Paris. Quant à ma thèse, elle était consacrée à Gabriela Zapolska, comédienne polonaise de la fin du XIXe siècle. Elle montre son cheminement et sa carrière en Pologne, en France, et à nouveau en Pologne. Il faut absolument mentionner la thèse de madame le professeur Jadwiga CzachowskaKalendarium, j'ai pu y trouver une description précise et chronologique de tous les événements. Elle était ravie que je reprenne ce sujet. Je citerai aussi le professeur Danuta Knysz-Tomaszewska, qui a fait partie du jury de ma thèse.

Qu'y a-t-il de si novateur dans tes travaux ?
   Je me suis appuyée sur des éléments peu connus retrouvés en France. Dans les années 50, le professeur Zbigniew Raszewski a écrit une petite étude, Sur les traces de Zapolska à Paris, je l'ai traduite mais, après avoir réfléchi sur ce qu'il avait écrit, je n'étais pas tellement convaincue que Zapolska était une comédienne médiocre, comme on l'avait toujours dit. Les hommes en particulier avaient des avis mitigés. En revanche, on l'a toujours considérée comme une excellente dramaturge. Ceci m'a intriguée, et j'ai commencé à essayer de me faire ma propre idée. Zapolska avait joué pendant 20 ans, la presse française lui avait rendu hommage car elle avait interprété des rôles très typiques, même si on ne peut pas la comparer à Irena Solska ou Helena Modrzejewska. Avant toute chose, elle a ramené de France certaines pièces qu'elle avait elle-même traduites, elle avait appris le jeu naturaliste, celui-là même que j'ai découvert par la suite grâce à mes professeurs du Conservatoire national de Théâtre (PWST) de Varsovie : Stanisława Perzanowska et Marian Wyrzykowski, issus de Reduta, un théâtre qui observait les mêmes règles que celui d'Antoine. Soudain, j'ai compris que nous avions des choses en commun, car mon propre jeu de scène était également tourné vers la simplicité. Zapolska a importé de France ce style de jeu, elle est la seule comédienne polonaise à avoir pu jouer sur une scène française, car les autres, même les plus grandes, n'arrivaient pas à maîtriser la langue. Modrzejewska avait dit à Alexandre Dumas fils qu'elle n'interpréterait pas La Dame aux camélias en français – elle préférait jouer en anglais. Quant à Maria Wisnowska, qui était venue à Paris avec l'appui du dramaturge Edouard Pailleron, elle n'a pas réussi à jouer et a fini par rentrer dans son pays.

Combien de temps avait duré la carrière de la comédienne après son retour en Pologne ?
   Elle est arrivée en Pologne formée par Antoine au Théâtre Libre, Tadeusz Pawlikowski l'a acceptée dans un théâtre de Cracovie, car il savait qu'en France de nouvelles tendances artistiques faisaient leur apparition. Lui même avait été chez Antoine et connaissait ses méthodes de travail. Elle jouait le répertoire d'Antoine, qu'elle avait traduit elle-même. Dans le théâtre cracovien, Zapolska s’est fait une place – elle disposait même de sa loge, décorée par Stanisław Wyspiański. Puis une actrice plus jeune est apparue et avait séduit le directeur : Zapolska est alors passée à l'arrière-plan. Elle a cessé de jouer en 1900, mais elle continuait sa carrière de dramaturge. Elle avait commencé à écrire ses premiers récits avant même d'aller en France, mais ce n'est qu'en 1906 qu’ont vu le jour La Moralité de Mme Dulska et d'autres pièces connues comme Skiz ou Mlle Maliczewska ; c'est pourquoi elle existe dans notre conscience collective en tant que dramaturge plutôt qu'en tant que comédienne. Aleksander Karandiejew, président des Théâtres Gouvernementaux de Varsovie, qui accordait une attention particulière à leur niveau artistique, lui avait également commandé des traductions de certaines œuvres, ce qui avait suscité des critiques de Kazimierz Zalewski et de Bolesław Prus, pour sa supposée rémunération excessive. Zapolska a également fait transporter en Pologne la maquette de la pièce L’Arlésienne, d’Alphonse Daudet.

On peut donc dire que pour les standards de l'époque, Gabriela Zapolska était une femme très moderne et qui ne se pliait pas aux convenances. Un personnage de chair et d'os, dont elle a transposé différents aspects dans ses œuvres. C'est pour cela que la fascination des contemporains à son égard reste toujours intacte.

Trad. M. Szczęsny

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