Dans mon blog manquait un article sur Paris et sur la Seine. Mes amis me demandent : « Quelles ont été tes premières impressions lorsque tu es venue à Paris ? » « Aimes-tu Paris ? Tu n’en parles jamais ! » Sans répondre directement à ces questions, j’ai décidé de vous livrer un petit morceau d’article écrit par Gabriela Zapolska, qui a vécu à Paris entre 1889 et 1895.
Sans la Tour Eiffel, Paris ne serait pas ce qu’il est ! Terminée et rendue accessible au public en 1889, la Tour a permis à des milliers de gens d’atteindre une vue imprenable jusqu’alors sur un Paris vert, sur ses collines, sa Butte Montmartre et ses monuments célèbres : le Dôme des Invalides, le Panthéon, la Cathédrale Notre-Dame. La Tour Eiffel, grande dame aux multiples liftings, attire toujours des foules. Gabriela Zapolska est l’une des premières à décrire la montée dans cet ascenseur étroit qui va vers des hauteurs. C’était en automne de 1889.
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«Trois heures ont sonné lorsque je me suis trouvée au pied de la Tour, côté nord. […] La journée a été magnifique. L’air était transparent […]. La Tour s’y découpait de façon très nette. […] Je lève la tête et j’essaye de voir le sommet, mais je n’y arrive pas. De l’endroit où je me trouve, je ne vois que l’assemblage de poutrelles et j’entends le vacarme de wagons d’ascenseur qui descendent. A l’intérieur de la Tour une cabine glisse verticalement et… disparaît. Des milliers de gens montent des escaliers disposés en colimaçon entre des poutrelles de fer, des milliers de gens prennent l’ascenseur, des milliers se promènent sur les plates-formes des étages. Et la vie de tant de gens dépend de cet homme [Gustave Eiffel], dont je tiens dans mes mains le portrait ! C’est grâce à lui que chaque jour, des milliers de gens s’élèvent à une altitude vertigineuse. C’est grâce à son génie que de nouveaux horizons sont ouverts, qui leur étaient jusqu’à présent fermés ! Un grand homme ! Un grand homme ! […]
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«Une cabine jaune remplie de gens arrive en descendant à la verticale – elle est de la marque Edoux. Au travers des vitres j’aperçois des visages de femmes, pâlis, presque gris. L’expression du visage des hommes est fatiguée, lasse et comme abêtie. Nous pénétrons rapidement dans la cabine et sommes obligés de nous tenir debout dans cette cage étroite car il n’y a plus de bancs pour les dames. […] De nouveaux j’entends un sifflet et je me sens comme arrachée vers le haut. Je regarde à travers la vitre : toujours et encore des poutrelles de fer au dessus de moi. Il y a de plus en plus d’espace et d’air, de plus grands horizons s’ouvrent devant mes yeux. Vers son sommet, la «Tour» devient de plus en plus étroite de sorte que la cage d’ascenseur en remplit tout le cœur. Nous sommes enfin sur la troisième plate-forme ! Je m’approche rapidement vers la balustrade…
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«Qui pourra décrire l’impression que je ressens en ce moment ? Quelle plume serait capable de transcrire sur une feuille de papier inerte cette splendeur qui s’étale sous mes pieds. Paris, ce Paris de Zola – une bête au corps blanc et aux cheveux verts, s’enlace comme un serpent autour les pieds de la «Tour». Ce Paris qui règne sur le monde, qui s’étend sur des espaces sans limites, semble, avec son manteau, toucher le ciel.
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«A deux reprises j’aperçois la Seine, de couleur vert sombre, encadrée de blancs boulevards, coupée par des nombreux ponts. Devant moi, aux pieds de la «Tour», se tient «l’Exposition», avec ses toits gris, noyée dans la verdure des arbres. A gauche, sur une hauteur, on voit une masse noire en pierre sur fond de maisons blanches. C’est le Panthéon ! Un peu plus bas, comme un papillon d’or, luit la coupole des Invalides et – en droite ligne – les tours de Notre Dame. Comme elles semblent petites, ces tours !
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«Je me tourne vers ma droite. Parmi des milliers de toits on distingue une grande place, sur laquelle s’agitent des petits points. Ce sont des casernes de cavalerie et ces points sont – sans doute – des soldats. Au dessus de la place passent des fumées noirâtres. Elles viennent des cheminées des usines de Grenelle et de Javel. Celles-ci se trouvent près de la Seine qui, en ce lieu, est entrecoupée par un remblai vert. C’est l’île aux Cygnes qui, d’un côté, touche le pont de Grenelle et, de l’autre, le pont de Passy.
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«Au-delà du premier pont, on peut voir la ligne sombre du viaduc du «Point du Jour», enveloppé d’une fumée d’usine qui s’étend de plus en plus. C’est le Paris ouvrier, le Paris du travail. […] Une verdure sombre s’étend au-delà de la Seine et rappelle une ceinture en velours. On m’explique que c’est le Bois de Boulogne – célèbre lieu de promenades. Le ruban vert de la Seine sépare le quartier du travail et celui du luxe. Et tout cela est dominé dans le lointain par le Mont Valérien que l’ombre est en train d’envahir et qui se fond avec l’horizon qui s’assombrit lui aussi. Au Trocadéro, le «Pavillon de travaux publics» se noie dans la verdure des arbres. Avec difficulté j’arrive à trouver l’Arc de Triomphe. […] L’arche du pont d’Alma paraît microscopique et c’est à peine si on voit l’Opéra, l’église de la Madeleine, ou la place de la Concorde. La colline de Montmartre se distingue par un trait sombre à l’horizon. Elle semble lointaine et plate. […]
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«Peu à peu la nuit tombe. Le ciel, bleu au dessus de nous, devient gris en se rapprochant de l’horizon. Des nuages sombres s’étirent, en marquant le ciel de traits aigus. Au-delà de la Seine, les fumées se couchent au dessus des toits des maisons, en enveloppant la ville d’un voile de crêpe. Le Mont Valérien a disparu derrière un rideau noir qui semble maintenant constituer un rempart. Le soleil pourpre, couleur de sang, s’enfonce derrière l’horizon en allumant ses derniers rayons les toits des maisons et les dorures des tours. Un rayon part en oblique de l’horizon et se perd parmi les fumées d’usines. De l’énorme forge de Grenelle, on voit des rubans de fer de couleur pourpre. […]
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«Le soleil a disparu derrière la masse noire de collines, en laissant derrière lui une lueur uniforme et sombre. Les arbres, comme des taches noires, se distinguent parmi la blancheur des maisons et la couleur claire des toits. Au Trocadéro, des lumières s’allument maintenant, par-ci et par-là. La ville, à moitié endormie, enveloppée des brumes et de fumées s’éveille à un plaisir nocturne.»
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Devinez maintenant, si j’aime Paris ?
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