mercredi 12 octobre 2011

Paillettes et réalités (1)


Ce qui suit donne un aperçu de ce que je présente le 19 octobre au Centre Scientifique parisien de l'Académie des Sciences Polonaises (P.A.N.). Le titre général en est : La Ville-Lumière Paillettes et réalités. Cet exposé fait suite à celui de Madame Danuta Knysz-Tomaszewska, Professeur à l'Université de Varsovie, sur La Magie de la Bretagne. La grande aventure artistique de Gabriela Zapolska, femme de lettres en révolte et critique d'art en admiration. Cet aperçu comprendra trois parties.


Immersion dans la nature, immersion urbaine
Issue d’une famille de propriétaires terriens de Volhynie, Gabriela Zapolska était familière des ambiances provinciales et de ce qui fait le charme d’une vie rurale. C’est là où elle a passé une partie de son enfance, ses années de jeune comédienne itinérante l’y ont replongée à maintes reprises. Ayant eu l’occasion d’y vivre de longs mois, lors de son séjour en France, elle ne pouvait être insensible à la magie d’une Bretagne… où des peintres allaient désormais planter leur chevalet en pleine nature. C’est ce qu’évoque Madame Danuta Knysz-Tomaszewska, Professeur à l’Université de Varsovie, dans son exposé lors de notre conférence d’octobre 2011 au Centre parisien de l’Académie des Sciences Polonaises

Mais, tel un papillon de nuit, très vite aussi, la jeune Gabriela a été aspirée par la vie urbaine. Sa mère ne s’était-elle pas produite à l’Opéra de Varsovie ? Celle qui n’avait pas encore opté pour le pseudonyme de Zapolska n’a-t-elle pas été éduquée dans une institution de Lvov ? N’a-t-elle pas été envoyée à Varsovie où elle s’est rapidement mariée – pour son malheur – à un officier de la Garde du tsar ? Elle cherchera notamment à être reconnue sur la scène varsovienne. Ses déconvenues la pousseront à venir à Paris. A son retour en Pologne, elle s’établira successivement à Varsovie, à Cracovie et à Lvov.

Zapolska des villes, Zapolska des champs : parmi ses pièces les mieux connues, La Morale de Madame Dulska nous aspire dans une atmosphère typiquement urbaine, alors celle de Skiz est résolument plus champêtre.

Paris redevient Ville Lumière
Venons-en maintenant à Paris où Gabriela a séjourné pendant une bonne part des six ans qu’elle a passés en France. Nous sommes à la fin du 19ème siècle, en cette période culturellement si riche, bouillonnante d’idées et d’événements artistiques, qui ont ensemencé l’Europe.

Quelques décennies auparavant, sous le Second Empire, le baron Eugène Haussmann avait entrepris de transformer la capitale et d’en faire une ville moderne, avec de grandes avenues et des boulevards – assainie et aérée. Les anciens taudis avaient été détruits ; à leur place des immeubles en pierre de taille – dans le style dit haussmannien – avaient commencé à se multiplier.

Au même moment, la cité s’était agrandie jusqu’aux fortifications : les communes d’Auteuil, Passy, Montmartre, Belleville y avaient été intégrées. Ce sont les limites que nous connaissons désormais, d’un Paris comprenant vingt arrondissements. Dans les années 1890, s’y trouvaient plus de 2 millions d’habitants – plus qu’aujourd’hui. En revanche, bien qu’elle prenne alors un grand essor, la population de la banlieue, encore très maraîchère et champêtre, semble minuscule par comparaison avec celle de l’actuelle région parisienne.

Paris est une ville qui s’était embourgeoisée et dont, pour des raisons économiques, la population artisanale, ouvrière et domestique d’origine parisienne, avait commencé de migrer vers sa périphérie, opérant ainsi un clivage géographique et social qui n’existait pas auparavant, entre le cœur de la capitale et ses pourtours et enfin sa banlieue.

Lorsque Zapolska arrive à Paris, la France, et une bonne partie de l’Europe, commencent tout juste à se dégager d’une longue crise économique dont il reste de lourdes traces. Le développement industriel reprend avec vigueur et se confirmera… jusqu’à la Première Guerre mondiale. L’Exposition Universelle de 1889, qui va faire l’objet des premières chroniques parisiennes de notre héroïne pour des journaux de Varsovie, en est un signe annonciateur.

En revanche, Paris n’a pas attendu la reprise économique pour être le lieu d’un bouillonnement culturel intense. Son urbanisme novateur et la transformation de son tissu social y ont leur part. Le progrès technique aussi. Le chemin de fer, désormais entré dans les mœurs, favorise migrations et brassages.

La photographie remet en question une vision du monde qui nous entoure, dont l’artiste classique avait jusqu’alors un certain monopole. Le gaz, qui commence à être disponible à tous les étages pour accroître le confort des logements, se fraie aussi un chemin dans les lieux publics – ce qui bouleverse une conception du spectacle jusqu’alors dépendante de l’éclairage à la bougie. Et l’électricité s’apprête à prendre le relais.

Bien que le qualificatif de Ville-Lumière donné à Paris remonte à bien avant dans le temps, c’est surtout à cette époque qu’il est particulièrement attaché. Car il déborde, et de loin, le seul éclairage des rues – d’autres grandes villes européennes sont aussi avancées sur ce plan. Il englobe en effet de toutes autres dimensions : culturelles, artistiques et sociales.

C’est notamment à ce titre que la capitale de la France attire de nombreux étrangers et des artistes qui tentent de la décrire et expérimentent de nouvelles manières d’en représenter les multiples aspects. Cela se conjugue à un foisonnement de styles : sur le plan pictural se succèdent les impressionnistes, les pointillistes, ainsi que des théoriciens de la palette, tel Sérusier – si cher à Zapolska – au sein du groupe des Nabis, et beaucoup d’autres. La littérature et les théâtres ne sont pas de reste, qui échangent et vibrent au rythme d’idées proches et des inventions nouvelles.

Sous la lumière : des paillettes, des zones obscures
C’est au regard que Gabriela Zapolska porte sur Paris – capitale du monde et Ville-Lumière – que nous allons nous intéresser. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel regard. De toute évidence, cette lumière la frappe – au sens propre et au sens figuré. Elle a dix ans de métier de comédienne derrière elle. Venue à Paris pour se perfectionner dans l’art dramatique et si possible y percer, comment pourrait-elle être insensible aux effets de l’éclairage ?

En Pologne, elle avait écrit des nouvelles, elle avait adapté pour sa troupe quelques pièces françaises, elle s’était colletée, parfois vigoureusement avec le monde littéraire varsovien : autant d’expériences qui faisaient que, une fois arrivée en France, ces dimensions de la vie culturelle et sociale ne pouvait lui échapper.

Mais si lumière permet de mieux discerner ce qu’elle éclaire, elle peut aussi éblouir et accrocher le regard sur les paillettes. Et masquer ce qui reste dans l’ombre, d’une réalité plus sordide.

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