Il avait ouvert pendant un mois aux étudiants de 1968 l’ODÉON qu’il dirigeait depuis 10 ans – cela n’a pas plu au gouvernement : au moment de la reprise en main, Jean-Louis BARRAULT est brutalement remercié. En attendant de retrouver des jours meilleurs, il va s’installer dans une salle de catch du boulevard Rochechouart, l’ÉLYSÉE-MONTMARTRE. Bien avant de devenir une salle de catch, c’est l’ÉLYSÉE-MONTMARTRE qui avait lancé la GOULUE, avant qu’elle ne soit kidnappée par le MOULIN-ROUGE… Passons – c’est une autre histoire… BARRAULT ne perd pas de temps : dès l’automne, il présente une pièce qui est jouée sur le ring même : RABELAIS. La critique en est époustouflée : c’est du BARRAULT, bien sûr, et ce sont tout autant des textes tirés de l’œuvre de RABELAIS.
Le savions-nous assez ?, écrit alors Guy DUMUR qui n’était pas n’importe quel critique. Notre langue châtrée par RICHELIEU et par LOUIS XIV (et je ne parle pas seulement des obscénités), peut être aussi cette prodigieuse liberté. Rien ne nous prouve que nos auteurs ont le courage d’attaquer les gens et les institutions que RABELAIS attaquait et qui sont, à peu de chose près, les mêmes qu’il faudrait attaquer aujourd’hui. RABELAIS aussi aurait été chassé de l’ODÉON, de la SORBONNE… Il l’a été.
Le savions-nous assez ?, écrit alors Guy DUMUR qui n’était pas n’importe quel critique. Notre langue châtrée par RICHELIEU et par LOUIS XIV (et je ne parle pas seulement des obscénités), peut être aussi cette prodigieuse liberté. Rien ne nous prouve que nos auteurs ont le courage d’attaquer les gens et les institutions que RABELAIS attaquait et qui sont, à peu de chose près, les mêmes qu’il faudrait attaquer aujourd’hui. RABELAIS aussi aurait été chassé de l’ODÉON, de la SORBONNE… Il l’a été.
On se sent tout humble devant de telles références. Les
extraits qu’Antoinette
GUÉDY a choisis et que je vais vous lire, sont simplement une
invitation pour repartir à la découverte de cette œuvre si prolifique. Chacun
d’entre nous connaît RABELAIS à sa manière. Il y a certainement parmi nous des
spécialistes qui en ont déjà amplement sucé la substantifique moelle.
Qui était François
RABELAIS ?
RABELAIS est né en Touraine près de Chinon, vers 1494. Après une
enfance où il est un peu laissé à lui-même – manger, boire et dormir – il est
envoyé, à l’âge de 9 ans, dans des abbayes et des couvents pour y recevoir une
instruction religieuse et l’orienter vers les ordres. À la différence de ses
compagnons, il s’adonne avec ferveur aux études. À l’approche de la trentaine,
il fréquente des universités, successivement de droit et de médecine – une
discipline qu’il pratiquera et enseignera effectivement. Il quitte la vie
monastique, et se lie avec une veuve, dont il aura deux enfants – qui seront
légitimés par le Pape une douzaine d’années plus tard.
Ceci est notamment dû au fait qu’il était un protégé de
l’oncle de Joachim
DU BELLAY (Heureux qui
comme Ulysse a fait un beau voyage…).
Cet oncle s’appelait Jean DU BELLAY : il fut archevêque de
Paris puis devint cardinal. Le roi FRANÇOIS 1er lui
confia d’importantes missions diplomatiques, notamment auprès du Pape :
c’est ainsi qu’il emmena RABELAIS en Italie.
Cette situation permit à RABELAIS
de bénéficier d’une double protection – pontificale et royale – et de publier
ses ouvrages alors que certains de ceux-ci étaient considérés comme hérétiques
par les théologiens de la SORBONNE, et censurés à ce titre.
Sa carrière d’écrivain commence en effet, vers l’âge de
35 ans et il y consacrera une bonne part du reste de sa vie. Il meurt vers les
60 ans.
En quoi consiste son
œuvre ?
Ce qu’il écrit tourne autour de personnages qui sont des
géants : GARGANTUA est le fils de GRANDGOUSIER
et de GARGAMELLE, et il est le père de PANTAGRUEL.
Il produit ainsi cinq ouvrages : le plus célèbre,
dès sa parution, est GARGANTUA ; les quatre
autres sont consacrés à PANTAGRUEL, dont le dernier – le CINQUIÈME LIVRE –
ne fut publié qu’à titre posthume.
À ses débuts, l’auteur signe Alcofribas NASIER, anagramme de François RABELAIS :
on réaménage les lettres comme aujourd’hui au Scrabble. Il ne veut pas de
confusion avec les critiques de traités médicaux antique qu’il publie par
ailleurs sous son véritable nom. Il abandonnera cette fiction ensuite.
Un des paradoxes de l’œuvre est que, compte tenu de
l’époque, elle parvient en priorité à un public encore restreint de lettrés,
alors qu’elle puise dans les contes populaires ou les romans de chevalerie –
notamment le cycle du ROI ARTHUR et la conquête du Graal.
Ces géants ne sont pas des ogres cruels. Ils sont
débonnaires et gloutons. Le nom de GARGANTUA ne vient-il pas en
écho de GARGAN, une bienveillante divinité gauloise en remontant au
temps des mégalithes dressés et des cultes de la fécondité ? Bien des
lieux et des monts en France portent ce nom, que le catholicisme a, selon les
cas, diabolisés ou – au contraire – rattachés à la légende de l’archange SAINT MICHEL. Plus près de nous, le rapprochement n’a pas manqué avec
le personnage d’OBÉLIX et avec son interprète
au cinéma : corpulence, ripaille, menhir, Dive bouteille… l’énumération
pourrait se poursuivre.
Au-delà de la caricature, les géants de RABELAIS nous emmènent dans un univers au service du rire, de
l’ouverture d’esprit, de la tolérance et de la paix. Ils sont la transposition
physique de l’appétit intellectuel et humaniste de la Renaissance. Lors de la
guerre contre PICROCHOLE, GARGANTUA va jusqu’à
laisser à ses ennemis une échappatoire afin que ceux-ci s’enfuient. C’est dans
le programme d’études qu’il dresse pour son fils PANTAGRUEL qu’il
souligne que : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
Où se situent les quelques extraits qui vont être lus ?
Venons-en aux extraits qui ont été choisis. Les premiers
sont tirés de GARGANTUA et les suivants du CINQUIÈME LIVRE :
En hors-d’œuvre, quelques mots de
l’auteur à ses amis lecteurs. C’est bref mais ce sont dix vers qui donnent le ton,
en ce sens que le rire est le propre de l’homme.
Vient ensuite l’emploi du temps d’un
jeune écolier. On est dans le registre
du manger, boire et dormir…
Autre thème : la vie monacale. PANURGE, un ami de PANTAGRUEL et à qui une histoire de moutons restera collée pour
l’éternité, interroge cette fois un des membres d’une communauté des moines Fredons – des moines qui fredonnent. Ceux-ci cohabitent avec
des sœurs de charité avec lesquelles ils ont des relations particulièrement
suivies. Ce qui motive une centaine de questions de curiosité… et autant de réponses
– chacune réduite à une seule syllabe. Allusion ironique à la règle du silence
dans les monastères ? Performance littéraire en tout cas et jeu en
contrepoint entre la frivolité du propos et la sobriété du vocabulaire.
Tendez notamment l’oreille à deux de ces échanges en
ping-pong :
– Que disent-elles en culletant ? Réponse : Mot.
La règle monastique du silence serait-elle sacrifiée en cette occasion ?
– Vous font-elles des enfants ? Réponse : Nuls.
Cela fait une trentaine d’année, la revue POPULATION de l’INED a regretté, avec une certaine amertume, que le médecin écrivain RABELAIS n’ait pas témoigné davantage sur les pratiques de l’époque en matière de contraception.
Le dernier extrait –
qui se terminera sur un rythme assez dansant – relate un souper particulièrement
copieux qui fut servi aux dames du LANTERNOIS. Nous n’avons gardé qu’un échantillon de la multitude
des plats énumérés. Idem quant aux titres des danses censées clore le festin –
on dépasserait sinon les 300. Ce qui donne un aperçu de la richesse du
vocabulaire chez RABELAIS. Quand on se souvient que celui de RACINE se limite à 1500 en tout et pour tout, on est dans un
autre monde pour d’autres performances…
Mais que cette débauche de plats et de mots ne nous
égare pas… Le LANTERNOIS, c’est le pays des Lanternes… Il est peuplé de
Lanternes vivantes – dont la Reine, revêtue de cristal de roche. Ces Lanternes
représentent la sagesse et la vertu. Il s’agit en fait d’un dîner
philosophique. Le banquet achevé, chacun des convives aura le choix d’une
Lanterne pour le reconduire.
Introduction préparée par
Arturo NEVILL
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