vendredi 2 juillet 2010

Mes découvertes

Jansem - Allégorie au vieillard, 1989
Huile sur toile - 130 x 162 cm

Je garde le souvenir de cette nuit au cours de laquelle les galeries étaient restées ouvertes pour accueillir le public. C’est, rue Matignon, un beau quartier, que j’ai été happée par les tableaux de Jansem, un peintre que j’y ai découvert.
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De format conséquent, ces tableaux m’ont fait penser à des scènes de théâtre : enchâssés dans des cadres, des personnages grotesques imaginés par l’artiste vivent pleinement leur vie. Ils sont souvent représentés en groupe. Leur visage, parfois grimaçant, exprime l’angoisse. Apparentés à la peinture d’Ensor, ces personnages, peints d’une manière réaliste, semblent être venus d’un monde fantastique. On y voit des Pierrot, des marionnettes, des danseuses, des militaires dans leur habit d’apparat, des gens qui participent à un carnaval.

Jansem présente l’Homme dans sa souffrance et dans sa condition humaine. Il a son style bien à lui. A la frontière entre la réalité et l’imaginaire, l’artiste porte une grande tendresse pour des êtres et pour la vie. La palette de ses couleurs est proche du pastel, les contours des silhouettes semblent dessinés à l’encre. L’artiste peint en faisant appel à plusieurs techniques.

Venu de Turquie, Jansem (Ohannes Semerdjian) a vu le jour en 1920, dans le quartier arménien de Seuleuze (Susurluk). C’est à Paris qu’il apprend à peindre, en fréquentant des cours du soir à Montparnasse, puis à l’Ecole des Arts Décoratifs. Désormais peintre renommé et reconnu dans le monde entier, Jansem est pour moi un artiste de grande envergure qui, par son art, sait émouvoir les gens par son approche humaniste.


Jansem, Le roi des borgnes, 1978
Huile sur toile - 114 x162 cm

Les oeuvres de Jansem sont exposées à la GALERIE MATIGNON
18, avenue Matignon - Paris 8e

vendredi 28 mai 2010

Pensée pour une Mère

Un livre en hommage à la mère m’a touchée.

L’auteur, Frédéric Brun, chemine à travers ses souvenirs et ses réflexions, accompagne sa mère en Pologne, à Olkusz, près de Cracovie où vivait jadis sa famille, puis à Auschwitz et en France. Il tente de comprendre et de reconstruire le vécu de sa mère, Perla. Elle a eu à subir la vie dans un camp nazi avec, pour séquelles, une dépression qui ne l’a pas quittée pendant des longues années.

"Perla, ma mère, par une belle journée de 1944, tenta de fuir une horde de SS qui la poursuivait. Une fois arrêtée, elle se retrouva entassée avec des femmes, des hommes et des enfants dans un wagon à bestiaux. A peine arrivée, elle se présenta devant cet homme nommé Mengele. Ce médecin élégant décidait en un instant du destin de milliers de gens. Il lui suffisait de tendre sa main dans une direction. A droite, c’était le four crématoire, à gauche, le droit de vivre, l’espoir.

Mengele la regarda rapidement. Après un examen express de la santé, le sort d’un prisonnier était réglé. Perla ne souffrait de rien, mais un petit bouton avait surgi sur son visage. Il hésita, tendit négligemment sa main vers la droite. Elle était belle. Il changea d’avis. Il y a tant d’indulgence pour la beauté. Il pointa son doigt vers la gauche."


S’émerveillant devant un tableau d’un romantique, puis d’écrits admirables de philosophes et écrivains allemands, Fréderic Brun se pose la question : "Comment ces mots, qui ont servi à exprimer une poésie magique et éternelle, ont pu devenir si rudes, si secs et si cruels ? […] Séparation cruelle, mondes parallèles ! Qu’y a-t-il à retenir de la Shoah ? Le diable est en l’homme, mais le bien, finalement, a-t-il triomphé du mal ? […] L’être humain est si complexe. Il peut être raffiné, cultivé et bestial en même temps. […] Comment l’humanité a-t-elle pu produire Auschwitz et Novalis ? J’ai beau retourner cette question dans tous les sens, je ne trouve pas de réponse. Personne ne peut y répondre."

En rendant l’hommage à sa mère, Fréderic Brun nous livre l’hymne à la vie et l’amour immense pour un être cher.

"Je garde sa photo sur papier glacé dans mon portefeuille. Le sourire angoissé de ses dernières années. Pourquoi faut-il toujours l’absence pour amplifier l’amour ?"…

Le style de la narration de ce livre révèle une grande sensibilité chez l’auteur et sa quête de rendre à sa mère un témoignage d’amour posthume est intense. J’imagine déjà une future lecture d’extraits de ce texte devant le public.

« Perla » de Frédéric Brun est paru chez Stock, dans la collection La Bleue, et a reçu le Goncourt du premier roman en 2007 – il a depuis été publié en Livre de Poche. Sont venus ensuite : « Le roman de Jean » puis « Une prière pour Nacha » (Prix 2010 des Écrivains croyants).

dimanche 9 mai 2010

14 mai : Qui êtes-vous Madame ?


Un des premiers billets de ce bloc-notes - celui du 30 septembre 2008 - était consacré
à ma lecture-spectacle de
QUI ÊTES-VOUS MADAME ?
en compagnie d'ANTOINETTE GUÉDY.


Nous récidivons
vendredi prochain 14 mai
au théâtre Jean-Marie Serreau
- Théâtre 14 -
à mi-chemin entre la Porte d'Orléans et la Porte de Vanves, à Paris
que dirige le talentueux Emmanuel Dechartre
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dans le cadre du festival du
Printemps de la Création théâtrale 2010 (Mairie de Paris-14°)


C'est à 19 heures.
Les portes s'ouvrent un quart d'heure avant le spectacle qui est gratuit.


Astrid Keller est une journaliste connue. Une femme se présente chez elle comme une amie de sa tante qui habite aux États-Unis. Leur conversation tourne sur le passé (la 2nde Guerre mondiale). Élisabeth Haenckel rapporte des faits qu’Astrid ignorait puis disparaît comme par enchantement, laissant son interlocutrice totalement perplexe ? Qu’y a-t-il de vrai ? Astrid n’est désormais plus sûre de rien, ni de son passé ni de sa propre identité.


Cette pièce est une
adaptation par LISBETH VIROL et JEANNE BERNAVA
de "KIM PANI JEST" d’ANDRZEJ NIEDOBA.
Elle a été diffusée à plusieurs reprises à la Télévision Polonaise
dans une interprétation
de KRYSTYNA JANDA et de MIROSŁAWA DUBRAWSKA
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vendredi 26 mars 2010

Lecture du Bal des folles

Voici bientôt un an - dans mon billet daté du 12 mai 2009 – je vous livrais quelques extraits de l’article sur le Bal des folles qui était organisé chaque année à la Salpetrière où elles étaient enfermées. Gabriela Zapolska y avait été invitée et en avait fait le sujet d'une de ses chroniques. Celle-ci est parue dans un journal de Varsovie, en avril 1892.

Depuis ce mois-ci et jusqu’à l’arrivée de l’été, le théâtre du Nord>Ouest présente plus de 30 pièces sur le thème de l’enfermement : Des prisons et des hommes.

C’est en compagnie d’Antoinette Guédy et de France Farnel que je participerai à une lecture de ce texte de Zapolska. A deux reprises : le lundi 5 avril puis le mardi 25 mai.

Le Bal des folles à la Salpetrière, de Gabriela Zapolska, traduit du polonais par Luna Virol et Arturo Nevill.


A l’initiative de Jean-Luc Jeener, le théâtre du Nord>Ouest est un lieu privilégié de la vie théâtrale : depuis plusieurs années, il y fait alterner l’intégrale des œuvres d’un auteur – ces mois derniers c’était August Strindberg, bientôt ce va être Eugène Labiche, puis une saison thématique – ainsi actuellement Des prisons et des hommes. Il est fréquent que des membres de la profession et des amoureux du théâtre prennent un abonnement pour pouvoir assister à autant de pièces qu’ils le souhaitent pendant une saison.

lundi 8 mars 2010

Jour de la Femme


"Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l’évolution de l’humanité dans son ensemble. Mais les femmes représentent une force considérable." C’est sur cette phrase que Gabriela Zapolska termine l'article qu'elle destine à un journal varsovien, sur le Congrès international des Femmes qui vient de se tenir à Paris en mai 1892.

Marquée et humiliée, suite à un mariage malheureux, Zapolska a voulu réaliser son rêve : faire du théâtre. En même temps, elle a découvert qu’elle aimait écrire. Ces deux passions l’accompagneront le long de sa vie. Très vite, elle comprend que, éphémère, le théâtre dépend de sa santé et des opportunités qui se présentent. L’écriture, se dit-elle, perdure dans le temps. "Les paroles s’envolent, les écrits restent." disent les sages. Ce que Zapolska traduit ainsi : "Lorsque je pense à George Sand, il me semble qu’elle n’est pas morte, qu’elle vit quelques rues plus loin, géniale et superbe. Et lorsque je pense à Rachel, je ne vois que ses ossements dans un cercueil."

L’écriture lui permet de s’exprimer et d’évoquer notamment le sort fait aux femmes. Dès ses premiers écrits, il est question de la condition qui est la leur au 19ème siècle. Vers la fin de sa vie, dans les années 1910, elle reviendra à des sujets personnels, qu’elle avait probablement dû taire. Elle réécrit ses nouvelles sous forme de pièces du théâtre : leurs héroïnes, "Kaska Kariatyda" (Catherine la Cariatide) ou "Malaszka", racontent la lente déchéance des femmes abusées et manipulées par des hommes, enfermées dans les traditions et dans le "qu’en dira-t-on" de la société.

Sensible à leurs souffrances, Zapolska décrit des situations "dont on ne veut même pas parler". Surnommée la "Zola polonaise" par la critique, avant même que d’avoir mis les pieds en France, elle raconte à vif, "d’une manière naturaliste", leur vie. Sans être véritablement militante, elle plaide en faveur des femmes et dépeint une société faite par les hommes et pour les hommes. Elle sera à côté des femmes pour les défendre – ce qui n’empêche pas, d’une plume aigüe et avec humour, d’en égratigner quelques unes. Et en ce qui concerne les hommes, elle "leur arrache leurs plumes de paon."

Née en 1857, Gabriela Zapolska a vécu pendant la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème. Elle est donc d’une génération postérieure à celle de Rachel et de George Sand. Ces deux personnalités ont vécu l’essentiel de leur vie en France – on peut noter néanmoins quelques passerelles avec la Pologne.
Comédienne de renom, la première meurt alors que Zapolska n’a pas encore un an. Rachel avait eu un second fils du comte Walewski – enfant naturel de Napoléon 1er et de Maria Walewska. Elle était venue jouer à Varsovie en 1854 où Jozefa Karska, mère de Zapolska avait été danseuse à l’Opéra.
Quant à George Sand – dont on sait les années passées avec Chopin – son décès correspond à l’année où Zapolska se marie – 1876.

dimanche 28 février 2010

Découvrir Antoine


La Bibliothèque nationale de France (BnF) prépare une exposition Qumrân, le secret de manuscrits de la Mer Morte. Ces manuscrits sont considérés parmi les plus importants au monde et constituent les traces les plus anciennes de textes religieux juifs connus à ce jour ayant donné naissance à la Bible. L’article paru dans les Chroniques de la BnF me fait penser à ces innombrables sujets qui attendent d’être remis sur selle et dont les historiens et chercheurs raffolent, pour faire de nouvelles découvertes.

J’ai ainsi appris qu’on ne connaissait pas très bien Antoine en Pologne ni le travail qu’il a entrepris dans son théâtre naturaliste, à la fin du XIXe siècle. « Antoine – mais c’est un employé du gaz qui a travaillé avec des amateurs » a-t-on souvent dit du côté de la Vistule… et parfois encore aujourd’hui. Par ailleurs, les recherches ont été en partie figées et orientées – on n’avait pas intérêt à s’écarter de la ligne tracée par les spécialistes d’histoire de l’époque. Même si ses œuvres ont été régulièrement jouées, l’œuvre de Gabriela Zapolska n’a pas été toujours bien comprise. Alors qu’elle avait travaillé avec Antoine dans son théâtre, son témoignage à cet égard n’a pas été pris au sérieux en Pologne – pendant de longues années, et parfois jusqu’à nos jours.

Dans une lettre de septembre 1909, Zapolska écrit à son mari Stanisław Janowski : « Que les Russes aient bien joué à [Kiev], ce n’est pas étonnant. Ce sont de merveilleux artistes et ce que tu as vu, c’est ce que tu aurais pu voir chez Antoine – car Stanislavski a fait un stage d' une demi-année chez Antoine. » (Lettres de Zapolska, tome II, PIW, Warszawa, 1970, recueil fait par Stefania Linowska – c’est bien ce qu’elle a écrit, il n’est pas facile de faire les recoupements nécessaires). Un autre metteur en scène polonais, Tadeusz Pawlikowski, a également séjourné à Paris à cette époque et s’est informé sur la méthode du jeu naturaliste chez Antoine. Il a accueilli Zapolska dans son théâtre à Cracovie, après le retour de celle-ci en Pologne. Elle a alors pu jouer dans un répertoire inspiré du Théâtre Libre, dans des pièces qu’elle a traduites elle-même.

Le récent ouvrage collectif d’historiens du théâtre publié chez L’Harmattan en 2007 : Le théâtre libre d’Antoine et les théâtres de recherche étrangers, sous la direction de Philippe Baron et avec la collaboration de Philippe Marcerou, retrace l’influence d’Antoine dans de nombreux pays : Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Danemark, Grèce, Hongrie, Japon, Pologne (où Gabriela Zapolska, notamment, a été un témoin direct), Portugal, Russie, Tchéquie. Des sociétés théâtrales fondées dans ces pays à l’image du Théâtre Libre se sont donné des noms similaires, certaines avec un nom calqué sur le français : La Freie Bühne de Berlin, l’Independent Theater de Londres, Scena Niezależna (la Scène Libre) – troupe fondée par Gabriela Zapolska, ainsi qu’une école dont des méthodes de travail ont été inspirées par sa formation pratique chez son professeur Talbot et chez Antoine.

Dans le Dictionnaire Encyclopédique du théâtre, publié sous la direction de Michel Corvin, chez Bordas en 1991, on considère André Antoine comme l’inventeur de la mise en scène moderne. Il a, de plus, été acteur, directeur du théâtre, metteur-en-scène et critique dramatique. On dit aussi de lui qu’il était un émule des théories de Zola sur la mise en scène.

Dans ce même ouvrage, Jean-Pierre Sarrazac précise qu’« Antoine entend donc reproduire fidèlement et exactement sur la scène un milieu social précis et inciter l’acteur à jouer le plus naturellement possible dans ce milieu reconstitué (et, au besoin, en tournant le dos au public) de façon que le personnage, conformément au déterminisme que véhicule le naturalisme, paraisse un produit, voire une excroissance de ce milieu. Comme Zola, Antoine considère que le décor doit occuper au théâtre la place même que les descriptions tiennent dans un roman réaliste ou naturaliste. Et, de façon à donner l’impression à ses spectateurs qu’ils sont en train d’observer une "tranche de vie", selon l’expression qui fait florès à l’époque, il règle ses mises en scène en tenant compte d’un "quatrième mur" invisible derrière lequel est censée se dérouler l’action dramatique. Au Théâtre Libre, puis au théâtre Antoine, à partir de 1897, Antoine entreprend de faire table rase des vieilles conventions scéniques telles que le jeu déclamatoire à l’avant-scène, les toiles peintes représentant toujours le même salon bourgeois, les accessoires peints sur le décor.

« [Les dialogues entre des personnages] doivent se faire au plus près du ton réel de la conversation, le décor doit être conforme à l’époque, le milieu, et les accessoires doivent être vrais. […] Les mises en scène du théâtre Libre procèdent, comme celles de Stanislavski, l’homologue russe d’Antoine, d’une véritable reconstruction artistique du réel. »


Lorsque Zapolska décrit une leçon chez Antoine (voir dans ce bloc-notes, les billets des 7 juillet et 13 septembre 2009), elle s’exclame : « la simplicité, la simplicité, c’est le mot clé ici ».
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Illustration - André Antoine et une affiche par Paul Sérusier (peintre Nabi, compagnon de Zapolska) pour le Théâtre Libre de la pièce de Gerhart Hauptmann : L'Assomption de Hannele Mattern, dans laquelle Gabriela Zapolska a tenu deux rôles, celui de la Mère défunte (en bleu à gauche) et de la Diaconesse (en haut).

lundi 22 février 2010

Océans


Monstres marins au fond de l’onde. Tigres dans les forêts. Alouettes aux champs.
Jean de La Fontaine

Tout à coup, l’immensité de l’océan s’est ouverte devant moi à la projection du film de Jacques Perrin et m’a submergée de joie. De voir toutes ces créatures, jusque là cachées à nos yeux, certaines semblables à nous, les humains, et d’autres à des animaux domestiques – et qui vivent au tréfonds de notre planète, m’a profondément émue. Pour moi, ce film est mystique. Il est fait d’admiration devant la Création, devant la fantaisie de la Nature, devant son humour. Il est fait des silences et d’images merveilleusement belles. De la cruauté aussi. Mais avant tout, on y sent de l’amour pour ces êtres étranges, difformes, si dissemblables entre elles, mais qui vivent selon des lois immuables de la vie, marquées par la tendresse, l’amour maternel, la survie, la prédation. Cette vie, filmée sous l’océan, nous a été offerte pour la première fois avec une telle intensité et vérité. Le film est fait pour faire réfléchir à propos de notre attitude destructrice envers la vie sous toutes ses formes, envers nous-mêmes. Une belle musique s’accorde avec des images.

Un petit garçon observe, dans un musée, ces espèces capturées, tuées, naturalisées. Certaines d’entre elles ont disparu à jamais…