vendredi 25 mars 2011

Promenades parisiennes (4-F)


Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).

S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.

Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).

Simone : un succès pour Zapolska

Stéphane, mon ami !

Ca y est ! Je vais à la générale de Simone ! Je prends ta photo et je la mettrai sous mon corset. Protège-moi devant le public parisien ! J’ai peur ! Je vais prendre un calmant… je t’écrirai davantage après le spectacle. Donc – dans quatre heures !
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Je reviens du théâtre ! Je suis si fortement impressionnée, qu’il me manque des mots… J’ai eu un triomphe inattendu ! Au fur et à mesure que l’action avançait, je sentais que le public m’était très favorable. Ils applaudissaient souvent après mes répliques. Ici, il n’y a pas de claque ! Après la scène du deuxième acte, les bravos ont été si longs que les comédiens s’étonnaient. Tous : l’auteur, le directeur, tous… m’ont embrassé, félicité. Séverine est venue dans ma loge ! En un mot – c’est quelque chose de fantastique ! On parlait de moi dans des couloirs du théâtre !

J’ai une fièvre à cause d’un tel succès ! Antoine me propose de jouer Nora d’Ibsen ! Mon rôle fétiche ! J’ai conquis tout Paris ! Pour cette pièce, l’élite de Paris s’est déplacée ! Il y aura des critiques dans des journaux ! S’il n’y avait pas eu tous ces bouquets de fleurs dans ma loge – j’aurais pu croire que c’était un rêve ! Maintenant je dois travailler davantage encore ! Après le succès, mon émotion est retombée. Et je ne ressentais plus ma joie. J’étais devenue tout simplement indifférente. Antoine a dit : Laissez-la, elle a la joie triste. Il me semble que ce n’est pas moi qui a joué.

Antoine m’a donné un rôle dans Les Mirages de Lecomte. Je prononce maintenant mieux le fameux rrr à la française. Il me faut encore améliorer ce e muet – ce qui est très difficile.


Les bayadères de la rue du Caire… et la charmante Valti
Ces jours-ci, je suis retournée à l’Exposition Universelle et, toute la journée, j’ai visité les pavillons. A la tombée de la nuit, on recouvre les vitrines d’une toile blanche. De tous les pavillons sortent alors des foules de gens : ils se massent autour de la Tour Eiffel qui révèle peu à peu ses formes au fur et à mesure que les lumières s’allument le long de ses flancs. Toutes les têtes se lèvent et des cris s’élèvent vers le ciel : Magnifique ! Sublime !

Une lumière violette s’allume soudain. On entend le bruit des jets d’eau, on voit comme des milliers d’étincelles… ce sont des fontaines multicolores qui, comme des gerbes de bijoux, font s’épanouir des milliers de gouttelettes qui se désagrègent dans l’air. Dans le lointain, on voit des statues que l’électricité inonde de blancheur.

Une mélodie de czardas nous parvient. Sur une voiture passe une danseuse, une bayadère de la rue du Caire, toute enveloppée d’un vêtement noir.

Je n’avais jamais vu les vraies bayadères de la rue du Caire avant d’avoir assisté au spectacle de Mademoiselle Valti à la Scala. Sur une scène, baignée par la lumière et des éclats de lueurs électriques, une jeune femme balance des hanches. Elle chante, la charmante Valti en faisant tourner sa petite tête encadrée de cheveux roux. Elle sourit, elle est gracieuse, le satin et le strass brillent. D’un soprano pur, elle chante :
Je suis la bayadère de la rue du Caire

Elle frétille si joliment de son petit bedon que le public qui remplit la salle de la Scala applaudit frénétiquement sa danse du ventre. Elle a le plaisant minois d’un titi parisien ; elle est coiffée d’un chapeau de crêpe, couleur or et rose ; sa silhouette de danseuse, on la dirait dessinée par Grévin. Le chef d’orchestre qui l’accompagne discrètement d’une mélodie harmonieuse est obligé de reprendre pour la 3ème fois le dernier couplet. La jolie fille cligne de l’œil gauche, se balance de nouveau sous les lumières en jetant des étincelles de diamants… et recommence à chanter.
Abdi-abdah,
Fiou fiou, piou, piou,
Dansons, dansons,
La danse du ventre.

Le public acclame avec des cris d’enthousiasme la danse de sa chanteuse préférée. Si on applaudit la Valti à tout rompre, à chaque refrain, alors qu’elle se balance sous les lumières qui accrochent des reflets dorés sur ses cheveux en cascade ou qui font scintiller des étincelles dans les plumes de son chapeau… Quelle va être notre réaction lorsque nous serons en présence des vraies danseuses, des almées ! Quelle sera la réaction du public à la vue de ces charmantes et mystérieuses créatures d’Orient, qui dansent au milieu de fumées d’encens, elles-mêmes imprégnées d’un parfum d’essence de rose !

Ce n’est qu’ensuite que j’ai couru voir les bayadères de la rue du Caire, au Champ de Mars. J’ai vu leur vraie danse du ventre sous la tente égyptienne des almées – telles que Fatima, Aïoucha, Hanem, Farida, Adila, Gouma et Selika, mais dans la soirée je suis retournée de nouveau à la Scala pour revoir la danse du ventre de la Mademoiselle Valti.

J’ai adoré sa danse stylisée, étincelante de paillettes sous les lumières électriques. Il est probable qu’il n’y ait que satin, plumes, artifice et grâce féminine pour captiver et soulever les foules… Je n’en suis pas sûre… Mais ce que je sais, moi tout comme le public, c’est que j’ai applaudi la Valti et que j’ai crié : Dansez, dansez-la, la danse du ventre – en souhaitant que cette ravissante apparition ne disparaisse pas trop vite de la scène.

Clôture de l’Exposition : un repas interminable…
Je suis allée avec mes voisins – Mme Nini, son mari et moi – à la clôture de l’Exposition Universelle. Après le déjeuner, où nous avons englouti une masse de Roquefort, du Brie, des Petit Gervais, des poires, des raisins, des noix, des petits-fours, des pommes vanillées, des confitures… après avoir bu quelques tasses d'un café noir arrosé copieusement de ma fine, Madame Nini a enfin décidé : Il est temps de partir.

J’ai soufflé. Le temps passait, et nous étions toujours devant cette table à manger et à manger sans cesse. Selon le programme, nous devions passer à l’Exposition une journée entière. J’étais sûre qu’à une heure de l’après-midi au plus tard nous nous apprêterions à partir pour le Trocadéro ou le Champ de Mars. Illusion ! J’avais oublié que les Français aiment bien manger et longtemps. Le crépuscule était tombé lorsque nous nous sommes levés de table.

Il était temps de partir. Mais Monsieur était d’un autre avis. En engloutissant encore une tasse de café, puis une livre de raisins, il s’est mis à faire des provisions pour cette excursion. Donc, une bouteille plate de Cognac, 4 poignées de noix et une livre de fruits confits. Il voulait encore emmener la tarte Courcelles et une bouteille de Chartreuse, mais Madame Nini a émis une réserve : Il vaut mieux que tu prennes ça – a-t-elle dit, en mettant dans la poche du vêtement de son mari une douzaine de figues : Elles vont me rafraîchir lorsque je serai éreintée.

En épinglant sur nos vestes des gerbes de violettes, elle a conclu : Nous sommes très bien et, en secouant un grand manchon, elle a ouvert la parade en disant à son mari : Tu sais, mon chat, lorsque nous serons arrivés sur place, nous nous arrêterons dans un restaurant car je sens qu’il me manque quelque chose… Ciel !

… Quelle équipée pour s’y rendre
En sortant dans la rue, nous avons eu un avant-goût des festivités nocturnes. Du haut de leur siège, les cochers pestaient, se croyant tout puissants. Devant les arrêts des autobus, les gens grouillaient en attendant qu’on appelle le numéro qu’ils avaient pris au guichet. Les petits omnibus passaient lentement remplis de passagers, et les conducteurs criaient avec un accent caractéristique : A l’Exposition – porte Rrraapp… cinquante centimes.

Monsieur, un parisien pur sang, se sentait dans son univers. Il sautait, courait d’un cocher à l’autre en leur montrant une pièce de 5 francs. Enfin, un cocher nous a acceptés dans son fiacre : Mais vous savez, mon bourgeois – a-t-il dit, en se penchant de son siège : C’est cent sous ! Nous sommes partis.

Des deux côtés des boulevards, des colonnes noires de gens avançaient rapidement dans la direction de l’Exposition. Des milliers de fiacres, de voitures et d’omnibus, occupaient le milieu de la rue, serrés les uns contre les autres. Par moments la circulation était entravée. Les agents de police, à la voix enrouée, fatiguée, s’affairaient entre des chevaux en essayant d’imposer un ordre. Les injures des cochers, le hennissement des chevaux, le rire des passagers faisaient un chaos indescriptible.

Une lueur couleur sang couvrait le ciel du côté du Trocadéro. Nous avons acheté 15 tickets à trois sous pièce et nous avons fait la queue devant l’entrée du Trocadéro. Le temps était splendide, le ciel pur, et l’air – bien que frais – était sec. Nous avons vite couru dans la direction du Palais.

De toutes les couleurs
Comment pourrais-je vous décrire le torrent mouvant dans lequel baignent en ce moment le Palais de Trocadéro et le Champ de Mars ? Tous les rebords du Palais, des fenêtres, des balcons, des balustrades, des ornements… sont soulignés par un fil lumineux. Des bouquets de lumière colorée scintillent comme des fleurs mystiques. Les immenses ailes du Palais forment des demi-cercles dorés. Tout flambe, brûle, tremble sous le souffle du vent. Dans la Seine, se réfléchissent les lumières qui se balancent sur le pont des bateaux qui s’y trouvent en grand nombre. Celles des restaurants sur l’eau sont rouges ; les bateaux près du Louvre sont parés de guirlandes vertes et de lampions aux lueurs dorées.

Sous la Tour Eiffel, la masse noire des gens bouge, crie et fait du bruit. Dans un kiosque, un orchestre joue un ancien air de polka. La foule commence à s’agiter. Les hommes sifflent, les femmes fredonnent. Soudain, des coups de canon ébranlent l’air. On dirait que la Tour Eiffel se met à brûler ! Toute entière ! Monstre flamboyant attisé par des diables, elle se consume en des couleurs pourpres. On distingue les lignes noires de l’échafaudage en fer et celles des poutrelles. Vue magique à vous couper le souffle. Des buissons alentour, jaillissent des lueurs rougeoyantes. Les fontaines prennent une couleur sang et déversent une pluie de rubis. Le vent agite les lampions accrochés aux arbres. Devant la statue de la République à laquelle la lueur des flammes semble imprimer un tremblement, la foule s’écrie : Vive la République !

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