Cet article fait partie d’une série consacrée au séjour parisien de Gabriela Zapolska (1889-1895), rédigée à l’occasion d’une exposition consacrée à cette femme de lettres, journaliste et actrice (Musée de la Littérature, Varsovie, d’avril à juin 2011).
S’adressant à un public dont les références et les attentes diffèrent parfois, cette version en français (1-F, 2F…) ne reprend pas exactement ce que l’on trouve dans la version polonaise (1-PL, 2-PL…), publiée il y a quelques semaines. On remarquera par ailleurs que plusieurs extraits sont déjà disponibles sur ce bloc-notes, depuis mi-2009 (parfois même depuis fin-2008) : ils avaient servi d’introduction à une lecture-spectacle sur ce même sujet, début septembre 2009, à l’Entrepôt, à Paris.
Artykuł ten dotyczy pobytu Gabrieli Zapolskiej w Paryżu miedzy 1889 i 1895 rokiem i jest jednym serii, którą opublikuję w niniejszym blogu, w wersji polskiej (1-PL, 2-PL… w lutym) oraz francuskiej (1-F, 2-F…), pisany z myślą o wystawie poświęconej Zapolskiej pisarce, aktorce i dziennikarce (Muzeum Literatury, Warszawa, od kwietnia do czerwca 2011 r.).
Congrès international des Femmes – 1892
Hier, je suis allée sur l’autre rive de la Seine où, en face de l’Église Saint Sulpice, dans la salle de la Mairie, se déroule un Congrès international des Femmes. En tant que journaliste, j’ai été placée dans une tribune, entourée d’hommes – des journalistes : et j’observe ce qui s’y passe.
Je ne connais, hélas, que trop bien, la condition dans laquelle se trouvent des femmes à notre époque. Les héroïnes de mes romans, de mes pièces du théâtre et de mes nouvelles expriment leur douleur et leur désarroi devant tant d’injustices qui leur sont faites.
Le Congrès se déroule dans une salle longue et étroite où les portes largement ouvertes laissent passer un rayon de soleil. Sur la petite table j’aperçois un bouquet du muguet et de roses. Derrière l’estrade sont assises les deux initiatrices du Congrès : Madame Maria Szeliga-Loevy – la Secrétaire de l’Union universelle des Femmes et Madame Potonnié-Pierre – cette dernière a structuré la Fédération Française qui rassemble en son sein tous les groupes et toutes les associations féminines – ce qui couvre de nombreux domaines.
Parmi les autres participantes : Marie Deraismes, qui préside, une clochette à la main ; Clémence Royer, traductrice de Darwin ; Marie Popelin qui est docteur en droit ; Madame Blanche Edwards, docteur en médecine ; Madame Morsier, qui lutte contre la prostitution ; Mademoiselle Stefania Feindkind de Varsovie, étudiante en médecine, la meilleure élève de Charcot ; Madame Léon Becquet, la fondatrice d’un refuge pour femmes enceintes qui se trouve avenue du Maine ; ainsi que Madame Valette qui est journaliste et militante.. Il y a aussi des Finlandaises, des Anglaises, des Allemandes, des Roumaines, des Françaises, des Italiennes… Je remarque qu’il y a bon nombre d’hommes.
La salle est comble. A un moment des débats, le bruit commence à s’amplifier. Un cri retentit. C’est de la recherche en paternité qu’il s’agit – question soulevée à la tribune et qui provoque un ouragan de protestation de la part de quelques hommes. Ils prennent passionnément part à ce débat en envahissant l’estrade, en justifiant leurs comportements de Don Juan qui ne sont pas sanctionnés, et leurs passades, d’un seul jour parfois, dont il ne leur reste… qu’un souvenir – chose d’une poésie ineffable – alors qu’aux femmes il ne reste souvent que les larmes, le désespoir, la maladie, la misère et… l’enfant.
La bagarre en est arrivée au point où Renée Marcil s’est ruée sur un type qui était parvenu à se hisser sur l’estrade et qui invectivait l’assistance, en traitant tout le monde de lâches. On a réussi à rattraper Renée Marcil et à la retenir. Elle s’est mise à pousser des cris de putois, à hurler, et à distribuer des coups de poings à droite et à gauche. Même Szeliga en a reçu un dans la mâchoire. Le dénommé du Bellay, celui qui avait provoqué la colère de Marcil, s’est saisi du parapluie de Rojecka et attendait sur la défensive. C’était à mourir de rire !
C’est Mlle Popelin qui présidait à ce moment-là (elle est avocate – doux Jésus, je ne lui aurais jamais confié la moindre d’affaire), mais personne ne l’écoutait. Quelle histoire ! Les femmes se querellaient entre-elles, poussaient de cris aigus, s’invectivaient. Les hommes se moquaient d’elles et, les uns après les autres, grimpaient sur l’estrade pour y semer la pagaille. J’étais au septième ciel ! Dans la salle où se tenait dans les 3 000 personnes, ça criait, ça rigolait, ça hurlait…
Ce Congrès n’a pas été un risible rassemblement de femmes en guerre contre les hommes. Oh ! Que non ! C’était une réaction et une révolte contre l’oppression qui frappe l’humanité tout entière. Prostitution et Recherche en Paternité – tels ont été les deux temps forts de ce Congrès. On y a, par ailleurs, protesté contre les guerres, on s’est aussi occupé d’analyser le problème de l’inégalité des salaires que les femmes reçoivent pour leur travail, par comparaison avec celui des hommes, on a voté pour que plus de crèches soient ouvertes, afin de faciliter l’éducation des enfants par leur mère et, en autre, pour éviter des infanticides et des abandons. Ce Congrès avait pour objectif d’améliorer le sort des femmes. Il va de soi que l’on n’y est pas totalement arrivé. Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l’évolution de l’humanité dans son ensemble !
Zapolska et les peintres de l’époque
J’habite maintenant près du cimetière de Montmartre. De la Place Clichy, allant à gauche du boulevard, il y a la grande rue Caulaincourt, à côté, plus petite, la rue Tourlaque. C’est là où j’habite, au numéro 4, au 3ème étage. J’ai un bel appartement pour lequel je paye 700 francs. Tout près, au numéro 7, Toulouse-Lautrec a son atelier.
Antoine, mon directeur du Théâtre Libre, m’a proposé une excursion en Bretagne, avec lui et avec sa dame. C’est là où j’ai passé mes vacances, j’y ai rencontré Paul Sérusier et un groupe de Symbolistes. Ces peintres portent des sabots et des habits de paysans, fument la pipe et discutent sans cesse de tons et de couleurs. Ils se sont eux-mêmes appelés Nabis. Aux Salons de Peinture, au Champ de Mars ou aux Champs-Élysées, leurs tableaux me faisaient rire, alors que mon ami Stefan les regardait avec sérieux. J’ai sympathisé avec ces peintres et j’ai assisté à des scènes de leur vie et à leur manière de concevoir leurs tableaux.
Paul Sérusier
La présence de Paul Sérusier dans ma vie a été une expérience formidable. Il m’a appris à regarder autrement la peinture… et ne plus avoir peur de la mort. J’ai écouté ses théories le jour et la nuit. Nous pensons parfois à nous marier. J’aime la peinture. Moi-même, à l’époque, je me suis acheté une boite de couleurs et j’ai peint quelques croûtes – on dirait des paysages – tout bleus car la mer est bleue, bien que verte par endroit. Plus je contemple cette étendue d’eau, plus je suis convaincue qu’aucun peintre n’arrivera à bien la rendre sans utiliser les couleurs or et argent. Sérusier me parle souvent de la peinture. Nous jouons même ensemble au Théâtre Symboliste de Lugné Poe.
Paul Gauguin
Maintenant, je connais leur histoire : au début, les Symbolistes étaient une petite poignée. Au cours de l’Exposition Universelle, ils ont organisé une petite exposition dans un modeste café : c’est de cette manière qu’ils ont attiré l’attention du public. Le nom de Symbolistes leur a été donné par un groupe de poètes qui portaient déjà ce nom et qui ont trouvé que ce genre de peinture dénotait une filiation commune à ce qu’il y avait dans leurs œuvres. Gauguin, leur chef de file, a consenti à cette dénomination : celle-ci s’est imposée depuis.
Gauguin a commencé comme Impressionniste mais il est parvenu à quelque chose de plus parfait : il manquait un style à l’art contemporain. Mais ne voulant pas imposer à tous un seul style, il a souhaité que chaque artiste fasse sortir de son âme le style qu’il avait en lui.
Vincent Van Gogh
Quant à Van Gogh, c’était un artiste doté d’une fantaisie folle et d’un tempérament, un coloriste dont la richesse des couleurs éblouit. Éprouvé de son vivant dans son corps par la maladie et par le dénuement, il possédait un esprit puissant, qui rassemblait en lui-même presque toutes les écoles de peinture. Laissant la bride à son tempérament ardent et flamboyant, il a regardé la nature à travers ce prisme. Il s’est élancé vers la lumière, vers des lueurs aveuglantes et, tout à coup, il s’est enfoncé dans l’obscurité… il est devenu fou ! Qu’est-ce que la folie – Qu’en savons-nous ? Le génie et la folie ne sont-ils pas du même lit ? Sur leurs ailes, les génies portent le monde vers la lumière et aucune camisole n’en a entravé les ailes ! Les ailes de Van Gogh nous ont livré plusieurs dizaines de toiles où il ne s’agit pas d’une «imitation parfaite» de la nature mais où nous devinons, en les regardant, comment lui, Van Gogh, voyait la nature.
Une toile de Van Gogh, j’en ai une qui est accrochée dans mon atelier – un joyau qui, dans quelques dizaines années, n’aura pas de prix. Mon appartement se transforme peu à peu en un musée. J’ai aussi des toiles de Gauguin, Maurice Denis, Vuillard, Anquetin, des sculptures en bas-relief. Il me manque des murs pour les accrocher et six toiles sont dans mon cabinet de toilette, en attendant des jours meilleurs, quand j’aurai un appartement plus grand. J’ai un grand tableau que m’a donné Antoine – entièrement peint avec des points – cela va faire sensation à Varsovie lorsque je m’y rendrai. J’aimerais maintenant avoir l’un des tableaux de ces Symbolistes, peint en trois couleurs seulement et qui représente de petits monstres.
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