jeudi 9 juillet 2009

Congrès des Femmes

Le Congrès se déroule face à l’église Saint Sulpice, d’où la silhouette de Manon se détache entre des colonnes d’un gris velouté qui se dressent comme une forêt pétrifiée – Manon, l’amante idéale de Des Grieux. Son fantôme a dû se figer à plusieurs reprises avec un profond étonnement en entendant les voix de femmes qui venaient de la salle où se tenait leur Congrès. On y parlait d’elle ! De cette Manon qui, se reproduisant à des centaines de milliers d’exemplaires, envahissait Paris jusque dans ses moindres ruelles. On en parlait comme d’une femme qui a le droit de vivre et de disposer de son corps. On s’attaquait aux barreaux de Saint-Lazare et on exigeait que l’on efface du front de ces Marie-Madeleine le stigmate honteux de l’infamie.

Nous sommes en 1892, au mois de mai…

Dans une salle longue et étroite, un grand nombre de bancs qu’occupent une multitude d’hommes et des femmes. A l’entrée, les portes largement ouvertes laissent passer un rayon de soleil. Sur une petite table, un tas de papiers et un bouquet de roses et de muguet.

Sur l’estrade, les deux initiatrices de ce Congrès : madame Maria Szeliga-Loevy – ma compatriote – la Secrétaire de l’Union universelle des Femmes – et madame Potonnié-Pierre – Secrétaire de la Fédération française des Sociétés féminines.

Au milieu, derrière la table, Marie Deraismes préside, une clochette à la main. Elle dit que toutes les misères que subit la femme résultent de sa condition juridique qui la met en position d’infériorité. Elle termine régulièrement un discours bien ficelé et plein d’esprit par une attaque contre Napoléon 1er et son code, en réclamant pour les femmes l’égalité en matière politique.

Près d’elle, Clémence Royer – géniale érudite, traductrice de Darwin, membre de la société d’anthropologie. On ne se rend pas compte tout ce qu’il peut y avoir de connaissances dans une si petite tête, perdue dans un amas d’héliotrope couleur lilas et de rubans violets.

Derrière elles, se trouve madame Léon Becquet, qui est la veuve d’un avocat. Elle est la fondatrice d’un refuge pour femmes enceintes, qui se trouve avenue du Maine dans des salles spacieuses et bien éclairées, et présidente de la Société aux Mères qui allaitent.

Puis Madame Valette qui est journaliste et militante. Elle lâche une avalanche de chiffres effrayants, qui démontrent à quel point les ouvrières sont exploitées par leur patron.

Dans la rangée suivante, on trouve des femmes comme Marie Popelin qui est docteur en droit, madame Blanche Edwards, docteur en médecine, madame Morsier, qui lutte vaillamment contre la prostitution et mademoiselle Stefania Feindkind de Varsovie, étudiante en médecine, la meilleure élève de Charcot. Il y a aussi des Finlandaises, des Anglaises, des Allemandes, des Roumaines, des Françaises, des Italiennes… Il ya bon nombre d’hommes…

Mais tout à coup on entend un bruit et un cri retentit. La question soulevée à la tribune – la recherche en paternité – provoque un ouragan de protestations de la part de quelques hommes. On en est arrivé à ce que Renée Marcil s’est ruée sur un type qui était parvenu à se hisser sur l’estrade et qui invectivait l’assistance, en traitant tout le monde de lâches. On a réussi à rattraper Renée Marcil et à la retenir. Elle s’est mise à pousser des cris de putois, à hurler, et à distribuer des coups de poings à droite et à gauche. Même Szeliga, en a reçu un dans la mâchoire. Le dénommé Du Bellay, qui avait provoqué tout cet incident, s’est saisi du parapluie de Rojecka et attendait sur la défensive.

C’était à mourir de rire ! J’étais au septième ciel ! Dans la salle où se tenaient dans les 3000 personnes, ça criait, ça rigolait, ça hurlait ! Les femmes se querellaient entre-elles, poussaient des cris aigus, s’invectivaient. Les hommes se moquaient d’elles et, les uns après les autres, grimpaient sur l’estrade pour y semer la pagaille….

Mais ce rire à part, ce Congrès n’a pas été un risible rassemblement de femmes en guerre contre les hommes. Oh ! Que non ! C’était une réaction et une révolte contre l’oppression qui frappe l’humanité toute entière. Il avait pour objectif d’améliorer le sort des femmes. Il va de soi que l’on n’y est pas totalement arrivé. Le devenir de la libération des femmes est trop lié à l’évolution de l’humanité dans son ensemble. Ci-et-là, se mêlaient au chœur de ces voix qui réclamaient égalité des salaires, plus de crèches, plus de dignité, les voix compatissantes de quelques hommes.

Les hommes auraient-ils compris que, derrière l’ombre de Manon qui erre sous les voûtes de cette église, c’est Des Grieux qui marche dans ses pas comme un page triste et fidèle, et que la réhabilitation de Manon ennoblit son amant et lui permet de se relever de la moisissure de son infamie ? Est-ce cela qui motive leur compassion ?

Rappel :

Lecture de textes de Zapolska sur Paris,
le 1er septembre à 19 heures 15 (entrée libre - durée environ 1 heure)
à l’entrepôt 7/9 rue Francis de Pressensé – Paris 14ème (métro Pernety ou Plaisance)

D'après une traduction - ici adaptatée pour la lecture à l'entrepôt - de Lisbeth Virol & Arturo Nevill.

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