Nous sommes en 1892 - Gabriela Zapolska rend visite à la journaliste Séverine...
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Je suis allée chez Séverine, qui habite sur les Grands Boulevards. Nous avons sympathisé. C’était elle qui m’avait présentée à Antoine – le directeur du Théâtre Libre.
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Nous nous sommes installées dans un petit salon tranquille où parviennent, par bouffées mal assourdies, comme le grondement d’une mer agitée derrière les fenêtres hermétiquement masquées par des rideaux de satin noir brodés de motifs chinois.
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Nous nous sommes installées dans un petit salon tranquille où parviennent, par bouffées mal assourdies, comme le grondement d’une mer agitée derrière les fenêtres hermétiquement masquées par des rideaux de satin noir brodés de motifs chinois.
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Séverine est assise en face de moi.
Séverine est assise en face de moi.
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Elle porte une robe blanche, monacale, au tissu moelleux, dont les draperies enveloppent les contours de son corps. Les mouvements qu’elle fait sont ceux, tantôt nerveux, tantôt gracieux, d'une chatte fourbue. Sous l’abat-jour rose, Séverine prend malgré elle la pose d’une femme qui écoute une demande qu’on lui adresse. Elle le sait et en plaisante avec élégance, parlant d’une voix basse et égale qui ne choque ni ne dérange.
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Du col de son habit émerge un visage qui a du caractère. Par-dessus s’avancent des cheveux aux reflets roux et bouclés de façon fantastique, d’où glissent des épingles en écaille, et où tremblote un nuage de bouclettes frisées. Sous cette grande frange naturelle qui fait penser à la visière relevée d’un casque en cuivre ajouré, on distingue d’étonnants yeux gris portant un regard en coulisse. Par moments endormis, ces yeux sont néanmoins pleins de vie. Lorsque, penchant la tête en arrière et les paupières mi-closes, elle regarde devant elle, ses yeux semblent voir en rêve des horizons plus larges, au-delà de ce petit salon où elle écrit les chroniques mensuelles qu’elle signe : «Jacqueline». Elle sait déjà ce qu’est la tristesse. Elle parle comme elle écrit. Ses chroniques, c’est elle-même. «Ce qu'ils appellent mon talent n'est fait que de ma conviction», dit-elle.
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Du col de son habit émerge un visage qui a du caractère. Par-dessus s’avancent des cheveux aux reflets roux et bouclés de façon fantastique, d’où glissent des épingles en écaille, et où tremblote un nuage de bouclettes frisées. Sous cette grande frange naturelle qui fait penser à la visière relevée d’un casque en cuivre ajouré, on distingue d’étonnants yeux gris portant un regard en coulisse. Par moments endormis, ces yeux sont néanmoins pleins de vie. Lorsque, penchant la tête en arrière et les paupières mi-closes, elle regarde devant elle, ses yeux semblent voir en rêve des horizons plus larges, au-delà de ce petit salon où elle écrit les chroniques mensuelles qu’elle signe : «Jacqueline». Elle sait déjà ce qu’est la tristesse. Elle parle comme elle écrit. Ses chroniques, c’est elle-même. «Ce qu'ils appellent mon talent n'est fait que de ma conviction», dit-elle.
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Dans sa récente carrière journalistique, Séverine s’est forgé une place indépendante et exceptionnelle. C’est une femme-journaliste au plein sens du mot. Elle n’écrit pas de nouvelles ni ne compose de romans. Elle a choisi le pur journalisme. Elle fait des articles sur des questions de tous les jours, qui concernent tout le monde. C’est la seule femme à écrire ainsi à Paris. Elle possède une intelligence vive, elle comprend la situation du premier coup et elle a cet esprit français qui sait faire quelque chose à partir de rien. Elle a été rédactrice du Cri du peuple.
Dans sa récente carrière journalistique, Séverine s’est forgé une place indépendante et exceptionnelle. C’est une femme-journaliste au plein sens du mot. Elle n’écrit pas de nouvelles ni ne compose de romans. Elle a choisi le pur journalisme. Elle fait des articles sur des questions de tous les jours, qui concernent tout le monde. C’est la seule femme à écrire ainsi à Paris. Elle possède une intelligence vive, elle comprend la situation du premier coup et elle a cet esprit français qui sait faire quelque chose à partir de rien. Elle a été rédactrice du Cri du peuple.
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Actuellement, elle travaille à L'Éclair, à Gil Blas et dans d’autres journaux. Ce qui est intéressant dans son caractère, c’est qu’elle aborde chaque question avec un point de vue de femme et, par là même, elle rapporte l’opinion de femmes françaises sur des événements politiques ou sur d’autres sujets. Elle y prend parti pour ceux qui sont défavorisés, miséreux ou abandonnés. Son cœur contient un amour immense, insondable. De ses yeux gris émane avant tout une bonté sans limites, forte et féminine à souhait. Une bonté qui ne permettra pas à un pauvre diable de rester sans réconfort moral ni à un mendiant partir sans aucune aide.
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Elle a en elle quelque chose d’une religieuse miséricordieuse : ses paroles s’égrènent comme les grains d’un rosaire. C’est une vraie nature d’artiste, attachée à une idée élevée et noble. Elle aime tellement la bonté qu’elle serait capable d’excuser un crime si la raison lui en semblait valable.
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Séverine a le même point de vue que moi sur la condition féminine. C’est pour cela que je suis allée à Saint-Sulpice, où, dans la salle de la mairie se tenait le Congrès des Femmes. J'y suis allée en tant que journaliste, car je suis correspondante attitrée de quelques journaux polonais de Varsovie.
Séverine a le même point de vue que moi sur la condition féminine. C’est pour cela que je suis allée à Saint-Sulpice, où, dans la salle de la mairie se tenait le Congrès des Femmes. J'y suis allée en tant que journaliste, car je suis correspondante attitrée de quelques journaux polonais de Varsovie.
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En 1879, Séverine (née Caroline Rémy 1855-1929) avait rencontré Jules Vallès, le fondateur du «Cri du Peuple» - qui avait paru au moment de la Commune. Elle participe avec lui à relancer ce journal en 1883, en prend la direction à la mort de Vallès, deux ans plus tard puis le quitte en 1888, suite à un conflit avec Jules Guesde.
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L'entretien avec Gabriela Zapolska se situe à mi-distance dans le temps entre le portrait Renoir a fait de Séverine (1885) et la photo prise vers 1900 (traduction - ici spécialement adaptée pour la lecture à l'entrepôt - de Lisbeth Virol & Arturo Nevill).
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Une lecture :
Promenades parisiennes de Gabriela Zapolska
est programmée le 1er septembre à 19 heures 15 (entrée libre)
à l’entrepôt
7/9 rue Francis de Pressensé – Paris 14ème (à proximité des stations de métro Pernety et Plaisance)
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